Le contraste sociopolitique entre le Bénin d’avant 2016 et celui de 2016 à nos jours nourrit bien de réflexions et suscite moult interrogations sur la gouvernance actuelle. Pour illustrer cette problématique, nous examinons deux réflexions d’intellectuels béninois : Charles Teddy, dans «La mise en garde» (24 juin 2024), et Expédit Ologou, à travers un éditorial de mars 2016. Ces textes, séparés par huit années, révèlent les dynamiques de continuité et de changement dans la gouvernance du Bénin, soulignant l’importance des principes démocratiques et le rôle central du peuple.
NDLR/Au fil des actualités et face aux lancinantes interrogations de la mémoire collective, sommes-nous souvent invités à revisiter les archives contemporaines de notre histoire commune. Le Bénin d’avant 2016 n’est plus du tout celui de 2016 à nos jours, au point que l’envie de troquer le passé pour le présent actuel se fait de plus en plus pressante. Le vécu sociopolitique des Béninois avant les régimes précédant celui de la Rupture était-il vraiment meilleur que cette situation chaotique qu’ils dénoncent aujourd’hui sous la gouvernance du Président Talon ? Rien n’est moins sûr. Les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs.
Pour aborder cette problématique, nous avons choisi d’illustrer la situation sociopolitique actuelle du Bénin à travers deux réflexions émises par deux intellectuels, analystes et chroniqueurs béninois : Charles Teddy et Expédit Ologou. Charles Teddy signe le 24 juin 2024 un court billet intitulé « La mise en garde », qui vient en réponse à un éditorial du 23 mars 2016 signé par Ologou. Bien que huit années séparent ces deux réflexions, elles sont étroitement liées. Car, « Au choc des idées jaillit la lumière. »
Ces deux textes offrent une perspective enrichissante sur la continuité et les changements dans la gouvernance et la perception populaire au Bénin. Ils mettent en lumière l’importance de respecter les principes démocratiques et soulignent le rôle central du peuple dans la surveillance et l’orientation de l’action politique.
Le billet de Charles Teddy (2024)
Dans son billet du 24 juin 2024 intitulé « La mise en garde », Charles Teddy critique sévèrement la possibilité d’un pouvoir sans alternance, qu’il assimile à un système féodal. Teddy met en garde contre la sous-estimation de la population béninoise, décrite comme potentiellement apathique mais intrinsèquement puissante. Cette réflexion fait écho à une inquiétude plus large concernant la pérennité démocratique et l’importance de respecter les principes de l’alternance politique.
L’éditorial d’Expédit Ologou (2016)
Ologou, dans sa chronique de mars 2016, décrit le peuple béninois comme doucement violent, capable de changements politiques radicaux sans effusion de sang. Il salue l’élection de Talon comme un acte de souveraineté populaire et met en garde contre l’arrogance des dirigeants. Ologou prédit que le même peuple qui a élevé Talon peut aussi le rabaisser s’il ne répond pas à ses attentes. Cette vision prophétique souligne la vigilance et la puissance du peuple béninois.
Comparaison et continuum
Les deux réflexions, bien que séparées par huit années, montrent une continuité dans la perception du peuple béninois comme un acteur central et vigilant de la politique nationale. Teddy et Ologou insistent tous deux sur la nécessité pour les dirigeants d’agir avec humilité et responsabilité. La critique de Teddy contre un pouvoir sans alternance résonne avec l’avertissement d’Ologou sur la capacité du peuple à défaire les pouvoirs.
Ces deux réflexions offrent une analyse riche de la situation sociopolitique du Bénin, marquée par un profond respect pour la volonté populaire et une critique des dérives autocratiques. Elles appellent à une gouvernance humble et transparente, capable de répondre aux besoins et aux attentes des citoyens. Les auteurs rappellent que le pouvoir émane du peuple et que tout dirigeant doit se conformer à cette réalité pour assurer une gouvernance stable et légitime.
*****************************************
«La mise en garde»
Si le code électoral ne garantit pas la continuité de l’État par l’alternance, nous ne sommes donc plus dans une République; mais gouvernés par un système féodal.
Le temps du pouvoir par dévolution successorale est révolu.
Ceux qui caressent cette lubie se trompent d’époque, et l’apprendront à leurs dépens.
Prendre l’apathie populaire pour de la faiblesse est une insulte dont on paye cash la méprise.
Par Charly Teddy
24/06/2024
« La mise en garde »
Dans son billet intitulé « La mise en garde », Charly Teddy aborde un thème central de la gouvernance moderne : l’importance de l’alternance politique pour la continuité de l’État. Selon lui, le code électoral joue un rôle crucial dans ce processus. Si ce dernier échoue à garantir cette alternance, le pays ne peut plus être considéré comme une République. Au lieu de cela, il devient un système féodal, caractérisé par une structure de pouvoir archaïque et inégalitaire.
L’auteur insiste sur le fait que le temps où le pouvoir se transmettait par dévolution successorale, c’est-à-dire de manière héréditaire ou par désignation, est révolu. Cette époque appartient au passé et ne doit plus avoir sa place dans le cadre de la gouvernance moderne. En soulignant ce point, Charly Teddy met en garde ceux qui nourrissent l’idée de maintenir ou de réintroduire une telle pratique. Selon lui, ces individus se trompent d’époque et ne réalisent pas l’ampleur de leur erreur.
Cette mise en garde est renforcée par la conviction que ceux qui persistent dans cette illusion en subiront les conséquences. Le langage employé, « l’apprendront à leurs dépens », suggère que les répercussions de cette erreur seront sévères et inévitables. L’auteur prédit que les individus ou les groupes qui cherchent à instaurer un système de pouvoir par succession héréditaire feront face à une résistance significative et à des conséquences négatives.
Un élément particulièrement poignant du texte est la phrase en italique : « Prendre l’apathie populaire pour de la faiblesse est une insulte dont on paye cash la méprise. » Ici, Charly Teddy met en lumière une autre dimension importante de la gouvernance : la perception et l’engagement du peuple. L’apathie populaire, ou le manque apparent d’intérêt ou de réaction de la part du public, ne doit pas être interprétée comme une faiblesse. L’auteur considère cette interprétation comme une insulte grave.
Il avertit que ceux qui sous-estiment le peuple en pensant que son silence ou son inaction est synonyme de faiblesse commettent une erreur fatale. Cette erreur, selon lui, sera payée « cash », c’est-à-dire immédiatement et de manière douloureuse. L’auteur suggère que la population a une capacité de réaction et de résistance qui ne doit pas être négligée. Lorsqu’elle est provoquée ou insultée, cette population peut se mobiliser de manière puissante et inattendue.
L’analyse de ce texte incite à réfléchir sur plusieurs aspects fondamentaux de la démocratie et de la gouvernance. Tout d’abord, elle met en évidence l’importance de l’alternance politique pour maintenir une République saine et fonctionnelle. Un système électoral qui ne garantit pas cette alternance risque de dégénérer en un régime autoritaire ou féodal.
Ensuite, le texte souligne le danger de revenir à des pratiques politiques obsolètes, telles que la dévolution successorale du pouvoir. Une telle régression serait non seulement anachronique mais aussi profondément nuisible à la société moderne. La gouvernance doit évoluer avec le temps et s’adapter aux principes démocratiques contemporains, qui privilégient l’égalité, la transparence et la participation active du peuple.
Enfin, l’avertissement concernant la perception de l’apathie populaire sert de rappel crucial pour les dirigeants et les élites politiques. Ignorer ou mépriser le peuple peut avoir des conséquences désastreuses. Le texte invite à une reconnaissance et à un respect profond de la voix et des sentiments des citoyens. Il souligne que le pouvoir véritablement durable repose sur un dialogue sincère et une compréhension mutuelle entre les gouvernants et les gouvernés.
« La mise en garde » de Charly Teddy est un appel clair et sans équivoque à la vigilance et à la responsabilité dans la gouvernance. Il rappelle aux leaders politiques l’importance de l’alternance et de l’engagement populaire, tout en mettant en garde contre les dangers de l’arrogance et de l’obsolescence des pratiques politiques. C’est un plaidoyer pour une République véritable, où le pouvoir est exercé de manière juste, équitable et respectueuse des aspirations du peuple.
********************************************
« LA VOIX DU PEUPLE : Patrice TALON, sois ROI ! »
(Par Expédit Ologou – Mars 2016)
Expédit Ologou avait commencé sa chronique en ce mois de mars 2016 par ces mots sentencieux : «Il faut se méfier des peuples non violents ou qui affichent même une certaine indolence».
Ils sont d’une douce violence
Ainsi du peuple du bénin
Il est allé déposer TALON sur le siège du pouvoir sans ambages
Avec arme et bagages
De telle sorte que TIANDO et HOLO n’auront rien à faire
Si ce n’est d’aligner formes et formules convenables
Pour les commentaires politologues et jurisprudentiels ultérieurs
Eux ils doivent en douce être entrain de remercier ce Peuple
M. le Pr Dr
Ce n’est pas nous c’est le Peuple
Et Quand les bras du peuple se lèvent en majesté on le sait
C’est pour rabaisser le prétentieux, l’orgueilleux le vaniteux
Et élever l’homme… Le Peuple dit Talon Soit tranquille tu seras le Chef…
Expédit Ologou va conclure sa chronique en ces termes :
«Alors quand il s’agira de son tour lui Talon,
On s’imagine que ce peuple Histoire sera encore plus foudroyant
Ce peuple celui du bénin n’est pas qu’électeur
C est un peuple vigilant surveillant
Un peuple Véto
Boni l’a appris a ses dépends
Et Talon est témoin et averti
L’exigence populaire
Est l’action dans l’humilité
Pour le bien le grand le beau
Car dans la vie comme en politique
Tout commence
Afin que tout finisse
Et tout fini afin que tout recommence».
Ce texte est une analyse poétique et incisive de la dynamique politique au Bénin, particulièrement lors de l’accession au pouvoir de Patrice Talon en 2016. L’auteur commence en soulignant la nature « douce mais violente » du peuple béninois, une caractéristique qui se traduit par une force tranquille et déterminée dans les moments cruciaux.
Parlant d’une douce violence, l‘auteur décrit le peuple béninois comme « non violent » et « indolent », mais avertit que cette apparente douceur cache une puissance considérable. Ce peuple a installé Patrice Talon au pouvoir « sans ambages », démontrant une action collective décisive et sans équivoque. La mention des sieurs TIANDO et HOLO, figures importantes d’institutions charnières, suggère que même les experts n’ont eu qu’à emboiter le pas à la volonté populaire, sans besoin de controverses ou de manipulations.
Expédit Ologou fait référence à « la majesté du peuple« . L’évocation des « bras du peuple » se levant en majesté pour « rabaisser le prétentieux, l’orgueilleux, le vaniteux » et « élever l’homme » symbolise la justice immanente et la sagesse du peuple béninois. Cette puissante image suggère que le peuple, dans son rôle de gardien de la justice et de l’équilibre, peut renverser les dirigeants arrogants et soutenir ceux qui sont dignes de leadership.
Un Peuple Vigilant : Ologou conclut en rappelant que le peuple béninois est plus qu’un simple électeur ; il est un « peuple vigilant, surveillant » et un « peuple Véto ». Cela signifie que les citoyens ne se contentent pas de choisir leurs dirigeants ; ils les surveillent activement et exercent une pression constante pour garantir l’humilité et l’action pour le bien commun.
Réflexion sur l’histoire politique : L’auteur fait référence à Boni Yayi, le prédécesseur de Talon, qui a fait l’expérience directe de cette vigilance populaire. Talon, étant témoin de ce qui est arrivé à son prédécesseur, est ainsi averti de la nécessité de gouverner avec humilité et en service du bien collectif.
Philosophie Politique : l’éternel recommencement
La conclusion philosophique « Tout commence afin que tout finisse et tout finit afin que tout recommence » renvoie à la nature cyclique de la politique et de l’histoire. Les dirigeants montent au pouvoir et finissent par en descendre, mais la vigilance et l’exigence du peuple restent constantes. Cela met en exergue l’idée que le pouvoir est temporaire et que le véritable souverain est le peuple.
L’auteur utilise un ton poétique et un langage riche pour exprimer des vérités profondes sur la nature du pouvoir et la dynamique entre dirigeants et citoyens. La douceur apparente du peuple béninois masque une capacité à effectuer des changements politiques significatifs. Cette analyse sert de mise en garde à tout dirigeant : la véritable autorité réside dans le peuple, et la gouvernance doit être menée avec humilité et dévouement au bien commun.