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Crise des droits au Bénin: Le retour à l’autoritarisme

Au Bénin, l’instrumentalisation des institutions judiciaires et politiques ainsi que les violations des décisions judiciaires supranationales illustrent une dérive autocratique préoccupante. Le refus d’appliquer les arrêts de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et  le retrait du Bénin du système d’accès direct à la CADHP pour les individus et les ONGs témoignent d’une régression marquée des libertés politiques et des droits fondamentaux dans le pays.

La régression démocratique au Bénin et le refus d’appliquer les décisions supranationales

Le Bénin, autrefois perçu comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, est aujourd’hui confronté à une régression politique alarmante, marquée par un refus systématique d’appliquer les décisions supranationales, en particulier celles de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). Cette institution, qui constitue un pilier essentiel de la protection des droits de l’homme sur le continent, a vu plusieurs de ses arrêts ignorés par le gouvernement de Patrice Talon. Cette situation fragilise les droits et libertés fondamentaux des citoyens béninois et compromet sérieusement la stabilité démocratique du pays, bâtie sur les acquis de la Constitution de 1990.

Le tournant décisif s’est produit en 2020, lorsque le Bénin a refusé de se conformer à un arrêt de la CADHP, rendu le 4 décembre de cette année, qui ordonnait l’annulation de réformes constitutionnelles controversées avant l’élection présidentielle de 2021. En ignorant ces décisions, les autorités ont installé un climat d’injustice et d’impunité, sapant les principes de l’État de droit et mettant en péril la démocratie béninoise. Cette dynamique s’est encore aggravée avec le retrait du Bénin du système d’accès direct à la CADHP pour les individus et les ONGs.

Ce retrait, devenu effectif un an après son annonce, a privé les citoyens béninois d’un recours crucial pour défendre leurs droits au niveau supranational. En 2016, le Bénin avait pourtant accordé aux individus et ONGs la possibilité de saisir directement la Cour africaine, et plusieurs affaires importantes avaient été portées devant elle, concernant notamment les violences policières et l’indépendance judiciaire. Cependant, en mars 2020, le gouvernement a décidé de retirer cette possibilité, un choix validé par la Cour constitutionnelle en janvier 2021. Cette décision a été vivement critiquée par les organisations indépendantes de defense des droits humains dont Amnesty International, qui l’a qualifiée de « triste jour pour les droits humains », soulignant qu’elle affaiblit les moyens de recours pour les victimes de violations des droits fondamentaux.

Malgré les appels pressants à revenir sur cette décision, le gouvernement béninois a persisté dans sa position, laissant planer des doutes sur son engagement à respecter les normes internationales de protection des droits de l’homme. Ce retrait, en plus de l’ignorance des arrêts de la CADHP, renforce une tendance autoritaire qui met en péril l’avenir démocratique du Bénin et ses engagements en matière de droits humains.

Instrumentalisation des institutions judiciaires et politiques

Cette régression démocratique s’accompagne d’une instrumentalisation des institutions judiciaires et politiques. La Cour suprême du Bénin a refusé de respecter les décisions de la CADHP, témoignant de la perte de l’indépendance judiciaire au profit d’un exécutif omnipotent. Le refus d’appliquer les arrêts supranationaux constitue ce que certains qualifient de « coup d’État institutionnel », où les principes de gouvernance démocratique sont continuellement bafoués. Ce climat autoritaire a également vu l’usage de la répression politique s’intensifier, avec des arrestations arbitraires, des violences politiques, et une utilisation disproportionnée de la force pour réprimer les opposants, des tirs à balles réelles sur des citoyens.

I. Le refus de respecter les décisions de la CADHP : une menace pour l’État de droit

La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a été créée pour garantir la protection des droits humains dans les pays membres de l’Union africaine. Ses arrêts sont juridiquement contraignants, et les États signataires sont tenus de les appliquer. Pourtant, le Bénin, sous le régime de Patrice Talon, s’oppose ouvertement à ces obligations internationales.

Le cas le plus flagrant est celui du refus d’appliquer l’arrêt du 4 décembre 2020, qui mettait en lumière neuf violations des droits humains et ordonnait l’annulation de réformes constitutionnelles imposées par le gouvernement. Ces réformes visaient à limiter l’accès à l’élection présidentielle de 2021, renforçant ainsi les accusations de dérive autoritaire. En conséquence, cette résistance à la justice supranationale met en péril l’État de droit et crée un précédent dangereux pour l’ensemble du continent.

1. Une légitimation du coup d’État institutionnel

Le refus de se conformer aux décisions de la CADHP s’apparente à un véritable coup d’État institutionnel, où les principes de gouvernance démocratique sont continuellement bafoués. Ce « coup d’État légal » ne renverse pas seulement l’ordre constitutionnel, mais le remplace par un régime qui agit en toute impunité. Le gouvernement actuel a instauré un cadre politique où les droits fondamentaux sont suspendus, la justice est manipulée et les voix critiques sont réduites au silence.

En invoquant de fausses accusations de tentative de coup d’État contre certaines figures politiques comme Boko Olivier et Oswald Homeky, le régime tente de détourner l’attention des violations systémiques de l’ordre constitutionnel. Cette stratégie vise à masquer une dérive politique, alors même que le véritable coup d’État a été opéré par ceux-là mêmes qui détiennent le pouvoir.

2. Le paradoxe des critiques d’un « État voyou »

Il est ironique de constater que ceux qui, dans un passé récent, accusaient l’État de ne pas respecter les arrêts des institutions supranationales, sont aujourd’hui les mêmes qui refusent d’appliquer les décisions de la CADHP. Patrice Talon et son gouvernement avaient, avant leur accession au pouvoir, dénoncé l’attitude de l’ancien régime qu’ils qualifiaient d’ »État voyou ». Cette contradiction met en lumière un opportunisme politique flagrant, où le respect des institutions supranationales n’est défendu que lorsque cela sert leurs intérêts.

II. La distorsion de la Constitution de 1990 et la violation du droit de participation politique

L’une des conséquences les plus préoccupantes du refus de se conformer aux décisions de la CADHP est la distorsion des droits politiques fondamentaux garantis par la Constitution de 1990. Le multipartisme et le droit de participation des citoyens à la vie politique sont des acquis essentiels de la Conférence nationale de 1990, mais ces acquis sont aujourd’hui gravement menacés.

1. L’érosion du droit de participation citoyenne

Les réformes imposées par le régime de Talon ont restreint les conditions d’éligibilité aux élections présidentielles, excluant de facto une grande partie de la population des processus électoraux. Ces conditions draconiennes constituent une atteinte directe à la souveraineté populaire et sapent les fondements même de la démocratie béninoise. En restreignant l’accès aux élections, le régime renforce son emprise sur le pouvoir, évinçant ainsi toute opposition politique.

2. La participation entravée des partis politiques

En parallèle, la liberté des partis politiques à participer aux élections est également remise en question. Des lois arbitraires imposées par le gouvernement limitent la participation des partis non alignés avec le pouvoir en place, violant ainsi le principe fondamental du multipartisme. Cela a créé une frustration grandissante parmi les citoyens, qui voient leurs droits de participer librement à la vie politique restreints, ce qui pourrait les pousser à des actions extrêmes pour se faire entendre.

III. L’instrumentalisation des institutions judiciaires et politiques

Outre les réformes constitutionnelles restrictives, l’instrumentalisation des institutions publiques et judiciaires par le pouvoir est une autre caractéristique marquante de cette dérive autoritaire. La Cour suprême du Bénin, censée garantir l’indépendance judiciaire, a également contribué à cette situation en refusant de se conformer aux décisions de la CADHP.

1. Le refus de la Cour suprême de respecter la chose jugée

En refusant d’appliquer les arrêts de la CADHP, la Cour suprême du Bénin a violé un principe fondamental de l’État de droit : celui de la chose jugée. Cette attitude témoigne de la perte d’indépendance du pouvoir judiciaire, désormais sous le contrôle direct de l’exécutif. La justice, au lieu d’être un contre-pouvoir, devient un outil de répression politique, destiné à protéger les intérêts du régime au détriment des droits des citoyens.

2. La répression politique et l’usage de la force

Le régime actuel ne se contente pas de manipuler les institutions judiciaires, il recourt également à des méthodes coercitives pour se maintenir au pouvoir. Les disparitions forcées, les arrestations arbitraires et les violences politiques sont devenues monnaie courante au Bénin. L’usage incontrôlé de la force, y compris le recours à des armes de guerre lors de manifestations, illustre un climat de terreur instauré par le gouvernement pour museler l’opposition et décourager toute tentative de contestation.

IV. Le retour à la Constitution de 1990 : une nécessité pour restaurer la démocratie

Face à cette dérive autoritaire, il est impératif que les citoyens béninois se mobilisent pour restaurer l’ordre constitutionnel établi en 1990. Cette Constitution, qui a permis au Bénin de sortir d’une longue période de dictature, garantit les droits fondamentaux, protège les libertés politiques et assure un équilibre des pouvoirs.

1. La Conférence nationale de 1990 : un modèle de renouveau démocratique

La Constitution de 1990 est issue de la Conférence nationale de février de la même année, un événement historique qui a permis au Bénin de rompre avec des décennies de régime autocratique. Elle a établi les bases d’une démocratie pluraliste, offrant aux citoyens des garanties solides contre l’arbitraire et la concentration du pouvoir.

Le retour à cette Constitution est donc essentiel pour rétablir la paix et la justice au Bénin. Elle permettrait de garantir la participation politique de tous les citoyens, de restaurer l’indépendance des institutions judiciaires et de protéger les droits fondamentaux de la population.

2. La nécessité d’une mobilisation nationale

Pour surmonter cette crise, une mobilisation nationale, similaire à celle de 1990, est nécessaire. Les citoyens béninois doivent se rassembler pour défendre les acquis démocratiques et exiger le respect des décisions de la CADHP. La lutte pour un État de droit ne peut réussir que si la population s’engage activement pour le retour à un ordre constitutionnel légitime.

Une démocratie en péril, un avenir à reconstruire

Le Bénin se trouve à un tournant critique de son histoire politique. Le refus des autorités de respecter les décisions de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, combiné à une concentration excessive du pouvoir, menace gravement les libertés fondamentales et la démocratie. La seule voie possible pour restaurer l’État de droit et garantir la justice est un retour à la Constitution de 1990.

Face à cette crise, la mobilisation nationale devient une nécessité urgente. Le peuple béninois doit se lever, comme il l’a fait en 1990, pour défendre ses droits et préserver les acquis démocratiques. Le respect des décisions supranationales est essentiel pour restaurer un climat de confiance et de justice, tout en évitant que le Bénin ne sombre dans un régime autoritaire permanent.

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Encadré :

Résumé analytique de l’arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples du 4 décembre 2020 concernant l’État du Bénin

L’arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) du 4 décembre 2020 a jugé plusieurs violations graves des droits fondamentaux par l’État béninois. Cet arrêt condamne fermement le gouvernement pour son non-respect de droits humains protégés par la Charte africaine et d’autres instruments juridiques internationaux, ainsi que pour ses manquements à ses obligations supranationales. L’arrêt du 4 décembre 2020 met en lumière les violations systématiques des droits de l’homme au Bénin, notamment en matière de participation politique, d’indépendance judiciaire, et de protection des droits fondamentaux. La Cour africaine a pris une position ferme en ordonnant la modification de lois et la restauration des droits, mais la mise en œuvre de ces décisions s’est heurtée  à l’opposition des autorités béninoises.

1. Violations des droits fondamentaux par l’État du Bénin

La CADHP a déterminé que l’État béninois a violé plusieurs droits fondamentaux :

  • Droit de grève : L’article 8 (1) (d) (2) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels protège le droit de grève. La Cour a constaté que l’État béninois l’a violé en limitant ce droit par diverses lois adoptées en 2018 et 2019.
  • Droit à la vie et intégrité physique : L’État a été jugé coupable de violer les droits à la vie, à l’intégrité physique et morale et de protection contre la torture, selon les articles 4 et 5 de la Charte africaine.
  • Accès à la justice pour les victimes des violences post-électorales : La Cour a également jugé que le Bénin avait violé le droit des victimes des violences survenues après les élections législatives de 2019 à obtenir justice, en violation de l’article 7(1) de la Charte.
  • Droit à la liberté d’association et non-discrimination : Les restrictions imposées à la participation politique des partis, telles que l’interdiction des candidatures indépendantes et des alliances électorales, ainsi que la possibilité de dissoudre un parti n’ayant pas participé à deux élections législatives consécutives, ont été jugées contraires aux articles 2 et 13(1) de la Charte, qui protègent la non-discrimination et la liberté de participation politique.
  • Création d’organes électoraux indépendants et impartiaux : La Cour a statué que l’État a manqué à ses obligations de garantir des institutions électorales indépendantes, comme stipulé dans l’article 17(1) de la Charte africaine de la démocratie et des élections.
  • Indépendance du pouvoir judiciaire : L’État a également violé l’article 26 de la Charte en compromettant l’indépendance de la Cour constitutionnelle et du système judiciaire.

2. Réformes et mesures non conformes à la démocratie

La Cour a pointé du doigt des réformes constitutionnelles et légales adoptées par l’État béninois, jugées non conformes aux standards internationaux et au consensus national :

  • Révision constitutionnelle non consensuelle : L’État a violé l’obligation de mener des révisions constitutionnelles fondées sur un consensus national, stipulée à l’article 10(2) de la Charte africaine de la démocratie.
  • Amnistie post-électorale : La loi portant amnistie pour les crimes et délits commis lors des élections législatives de 2019 a été considérée comme une entrave aux droits des victimes d’obtenir justice.

3. Réparations ordonnées par la Cour

Bien que le requérant ait renoncé à toute demande de réparation pécuniaire, la CADHP a ordonné à l’État béninois de prendre des mesures concrètes pour remédier à ces violations :

  • Abrogation de lois restrictives : La Cour a exigé l’abrogation de plusieurs lois, notamment celles portant sur le droit de grève, le statut des partis politiques, et la révision de la Constitution de 2019. L’État dispose de trois mois pour abroger les lois et de six mois pour les autres mesures relatives au droit de grève et à l’indépendance judiciaire.
  • Publications et mise en œuvre : L’arrêt ordonne à l’État de publier ses dispositions sur les sites internet gouvernementaux et de présenter un rapport sur la mise en œuvre des mesures dans les délais impartis.

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