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Gouvernance/Le naufrage du leasing : Quand l’État béninois louait à perte

En février 2017, le gouvernement béninois adoptait le « leasing » comme solution miracle pour assainir les finances publiques en rationalisant la gestion du parc automobile de l’État. À mi-chemin, ce qui devait être une révolution dans la gouvernance s’est transformé en naufrage financier soigneusement dissimulé. La réforme du leasing au Bénin illustre avec fracas l’écart entre promesse de rigueur budgétaire et réalité financière désastreuse. Derrière les chiffres vertigineux et le silence qui va avec, c’est toute une gouvernance qui patauge dans la gadoue de l’opacité. Mettez vos masques pour une plongée dans les eaux boueuses d’un flop abyssal.

Le miracle annoncé : des voitures neuves, des finances allégées: Le mercredi 15 février 2017, Pascal Koupaki, alors ministre d’État et secrétaire général à la présidence, annonçait triomphalement, chiffres à l’appui, la décision du gouvernement de recourir à la Location Longue Durée (LLD) pour la gestion du parc automobile de l’administration publique. Selon lui, ce choix devait «réduire les charges de fonctionnement de l’État » et « soulager les caisses du Trésor public». D’après ses déclarations, entre 2014 et 2016, l’achat, l’entretien des véhicules et la consommation de carburant avaient coûté plus de 114 milliards de francs CFA à l’État. En comparaison, la location de véhicules via le leasing apparaissait comme une solution efficace, permettant à l’administration de disposer de voitures neuves, entretenues et sous garantie constructeur. Une politique présentée comme rationnelle, moderne, et surtout économique. Sur le papier, les avantages du leasing étaient nombreux. L’État n’avait plus à se soucier des réparations ou des renouvellements, les fournisseurs prenaient en charge l’entretien, et la flotte de véhicules devait être régulièrement renouvelée. Mais très vite, les belles promesses se sont heurtées à une réalité beaucoup moins reluisante.

Une dérive silencieuse : leasing ou gouffre budgétaire ?

Cinq ans après cette annonce, le silence entoure le projet. Le leasing a été abandonné sans explication officielle, dans la discrétion absolue. Pourtant, les chiffres disponibles dépeignent un véritable gouffre financier. Selon diverses estimations, le coût du leasing entre 2017 et 2021 aurait atteint 2.500 milliards de francs CFA. Une somme vertigineuse, à comparer aux 114 milliards dépensés entre 2014 et 2016 par le gouvernement précédent pour l’achat, l’entretien et le carburant des véhicules. En moyenne, le gouvernement de la Rupture aurait ainsi consacré 500 milliards de FCFA par an à la location de véhicules, contre 38 milliards par an pour son prédécesseur. La question légitime que se pose tout contribuable est la suivante : qu’a-t-on obtenu pour un tel coût ?

Le leasing était censé être une mécanique d’efficience. En réalité, il semble plutôt avoir été une mécanique d’évasion budgétaire, voire de prébendes pour quelques initiés du système. En l’absence de données publiques et de rapports de performances, le manque de transparence alimente les soupçons d’opacité et de favoritisme. Une Mitsubishi Outlander 2017, par exemple, vendue à 10,5 millions de FCFA, ou Mitsubishi Outlander 2020  vendue à 23 000 000 CFA aurait coûté environ 250 millions de FCFA en leasing sur 5 ans pour l’administration. Incompréhensible.

Et encore, ces chiffres reposent sur des hypothèses conservatrices. Au 31 décembre 2019, environ 2000 véhicules étaient en leasing. Si tous étaient de bas de gamme à 150.000 FCFA/jour, cela reviendrait à plus de 300 milliards de FCFA pour cette seule année. Une hémorragie budgétaire que rien ne semble justifier, d’autant que le silence des autorités est assourdissant.

La culture de l’opacité : entre fiasco et refus d’assumer

Ce que révèle avant tout cette affaire, c’est une certaine conception de la gouvernance. Le gouvernement dit de la « Rupture » s’est toujours présenté comme une alternative rigoureuse, résolument moderne et axée sur la bonne gestion. Mais face aux échecs, le silence reste la seule stratégie. Le leasing n’est pas le seul cas. Le projet « Bénin Taxi », autre initiative très médiatisée, a connu le même sort : un élan, des millions dépensés, et au final, un enterrement sans tambour ni trompette. En l’absence de mécanismes de réddition des comptes efficaces, ces programmes se succèdent, engloutissent des ressources colossales, sans que personne ne soit publiquement tenu responsable. Pourtant, l’article 35 de la Constitution béninoise impose aux gouvernants de rendre compte de leur gestion. Ce mutisme, conjugué à l’échec d’un projet d’une telle ampleur, est un affront au contribuable.

Après cinq ans de mise en œuvre, la réforme du leasing a été abandonnée sur la pointe des pieds. Selon des indiscrétions, plus de 2.500 milliards de FCFA de crédits budgétaires auraient été engloutis. Depuis lors, l’État, rattrapé par les réalités de la cherté des services de location confiés à des privés, a cessé cette pratique et est retourné à l’acquisition de véhicules neufs via les circuits classiques.

Des sources administratives révèlent que les contrats de leasing encore actifs ne seront pas renouvelés à leur échéance. Certaines structures publiques comme l’armée ou des institutions de la République disposent d’ores et déjà de nouveaux véhicules achetés sur fonds publics. L’Agence pour la gestion de la logistique des officiels (Aglo), créée en 2019 avec un budget initial de 100 millions FCFA pour centraliser la logistique, semble avoir disparu dans l’ombre du bilan. Et pourtant, en octobre 2020, le président Patrice Talon défendait encore le leasing, affirmant que l’État dépensait trois fois la valeur d’un véhicule en entretien sur cinq ans. « Tout ce qui m’amène à économiser un franc de l’État est mon choix », disait-il. Mais aujourd’hui, ce choix n’est plus à l’ordre du jour. Sans explication officielle, sans rapport public, sans audit, le retour à l’ancienne méthode de gestion est acté. Ce silence assourdissant fait craindre que d’autres mirages ne prennent la relève. Le devoir de mémoire et d’analyse revient plus que jamais à la société civile, aux journalistes et aux citoyens. L’histoire du leasing au Bénin est celle d’un apprentissage douloureux. Encore faut-il que la leçon soit tirée. Faute de quoi, les mêmes erreurs risquent de se répéter, avec les mêmes conséquences : des milliards perdus et personne pour répondre.

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