Longtemps présenté comme l’un des modèles de stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest, le Bénin traverse depuis plusieurs années une période de fortes turbulences en matière de droits humains. Le dernier rapport d’Amnesty International (2024-2025) dresse un constat accablant : restriction croissante des libertés publiques, criminalisation de la dissidence, répression des manifestations pacifiques et détérioration des conditions carcérales. Cette réalité contraste violemment avec l’image que les autorités souhaitent projeter à l’international.
1. Répression rampante : exprimer une opinion devient risqué
La liberté d’expression et de réunion, fondements de toute démocratie saine, sont gravement menacées au Bénin. Depuis 2016, une série de lois jugées liberticides par la société civile a été adoptée, réduisant l’espace civique à sa plus simple expression. Les dispositions du code du numérique, adoptées en 2018, ont permis de criminaliser la critique en ligne et d’arrêter des journalistes ou des citoyens ordinaires pour de simples publications sur les réseaux sociaux. À cela s’ajoute l’instrumentalisation des lois antiterroristes pour poursuivre des opposants ou des voix dissidentes, même lorsqu’aucun acte violent n’est avéré.
Des médias indépendants comme Radio Soleil FM ou Sikka TV ont été suspendus ou privés de fréquences, affaiblissant considérablement le pluralisme de l’information. Le cas de figures comme Reckya Madougou ou Joël Aïvo, opposants politiques emprisonnés dans des conditions jugées arbitraires par de nombreuses organisations internationales, illustrent ce climat répressif. La peur de l’arrestation ou de la disparition judiciaire pousse de nombreux acteurs à l’autocensure. Le tissu démocratique se déchire à mesure que l’État assimile toute contestation à une menace.

2. Prisons béninoises: des mouroirs qui ne disent pas leur nom
Le système carcéral béninois illustre une autre facette de la crise des droits humains. Les prisons sont surpeuplées, mal entretenues, et insuffisamment encadrées. Amnesty International dénonce des taux d’occupation atteignant 300 % dans certains établissements, où les détenus s’entassent dans des cellules étroites, mal ventilées, et insalubres. À cette promiscuité s’ajoutent des carences alimentaires, des soins médicaux rudimentaires, et des cas de violence entre détenus non pris en charge par l’administration pénitentiaire. Le recours excessif à la détention préventive, sans jugement dans des délais raisonnables, alourdit encore la charge des établissements. Des mineurs y sont parfois enfermés aux côtés d’adultes, en violation des normes internationales. Les femmes, quant à elles, sont peu nombreuses, mais souffrent d’un isolement institutionnel et du manque d’équipements spécifiques à leur santé reproductive.
Plusieurs rapports font état de mauvais traitements, voire de torture infligée lors des gardes à vue, dans un climat d’impunité quasi généralisé. Le mécanisme national de prévention de la torture, bien qu’existant sur le papier, manque cruellement de moyens et d’indépendance pour fonctionner efficacement. Dans ces conditions, la prison ne devient plus un lieu de réhabilitation, mais un espace de souffrance silencieuse et d’humiliation structurelle.

3. L’exclusion sociale et territoriale : Fiyégnon, symbole d’un mépris
Le cas emblématique de Fiyégnon 2 à Cotonou incarne la brutalité de certaines politiques publiques d’aménagement du territoire. En juin 2023, des milliers de personnes y ont été expulsées sans véritable préavis, ni relogement alternatif. Bulldozers à l’œuvre, maisons rasées à l’aube, familles jetées à la rue : Amnesty International évoque un « acte de violence sociale planifiée ». En dehors de toute concertation, ces expulsions ont été justifiées au nom de l’urbanisation et du projet de modernisation de la ville. Les images de femmes, d’enfants et de personnes âgées dormant à la belle étoile ont indigné une partie de l’opinion, mais les autorités sont restées sourdes aux interpellations. Le droit au logement, pourtant inscrit dans les textes fondamentaux, est ainsi ignoré dans la pratique. Les victimes, souvent sans titres fonciers, n’ont pu engager aucune procédure légale ni bénéficier d’une quelconque compensation.
Au-delà de Fiyégnon, d’autres quartiers précaires sont sous la menace d’opérations similaires. Ces expulsions traduisent une gouvernance autoritaire de l’espace urbain, qui relègue les plus pauvres à l’invisibilité. L’absence de dialogue social et de politiques d’habitat inclusif accentue la fracture entre les projets étatiques et les besoins fondamentaux des citoyens. Le mépris institutionnel devient alors le visage ordinaire du développement imposé.

4. Un nouveau code électoral contesté : verrouillage en marche
Adopté en avril 2024, le nouveau code électoral a immédiatement suscité une levée de boucliers chez les partis d’opposition et les observateurs internationaux. Ce texte impose des conditions drastiques pour pouvoir se présenter aux élections, notamment l’obligation pour tout candidat de recueillir un nombre élevé de parrainages d’élus locaux ou de députés. Or, ces élus sont très majoritairement issus des formations politiques proches du pouvoir, rendant l’exercice quasi impossible pour les candidats indépendants ou dissidents. Cette réforme s’ajoute à un environnement politique déjà verrouillé depuis les élections législatives de 2019, où seuls deux partis favorables au gouvernement avaient pu participer. Depuis, les espaces de dialogue se sont réduits, les formations politiques critiques sont écartées de la scène électorale, et les rassemblements sont régulièrement interdits ou réprimés.
L’exclusion politique s’accompagne d’une judiciarisation croissante du débat public. Les opposants risquent des poursuites pour incitation à la haine, apologie du terrorisme, ou encore diffusion de fausses nouvelles. Le pluralisme, pilier essentiel de toute démocratie, se retrouve menacé. L’acte électoral perd sa portée démocratique lorsqu’il n’offre plus de véritables choix aux citoyens. Le Bénin glisse vers une démocratie d’apparat, où le pouvoir se perpétue à travers des règles taillées sur mesure.

5. Climat sécuritaire : entre attaques armées et dérives autoritaires
Depuis 2021, le nord du Bénin est en proie à des attaques armées attribuées à des groupes terroristes opérant depuis le Burkina Faso voisin. Cette menace réelle a conduit les autorités à militariser la région et à adopter des mesures sécuritaires d’exception. Cependant, Amnesty International s’inquiète de l’usage abusif de cette situation pour renforcer le contrôle sur les populations et limiter les libertés fondamentales. L’état d’urgence décrété dans certaines zones s’accompagne de restrictions de mouvement, de perquisitions sans mandat, et de détentions prolongées sans accès à un avocat. Des rapports évoquent également des cas de bavures militaires et des arrestations arbitraires visant des populations peules soupçonnées de collusion avec les groupes armés. Ces pratiques alimentent la stigmatisation ethnique et fragilisent encore plus le tissu social local.
Au lieu d’une réponse sécuritaire exclusivement répressive, les ONG appellent à une approche plus inclusive, fondée sur la prévention, l’éducation et le développement. Le risque, souligné par Amnesty, est de voir le conflit s’enraciner dans les ressentiments, alimentés par l’injustice perçue et l’absence de voies légales pour faire valoir ses droits. L’insécurité ne peut être combattue efficacement que dans un État de droit qui protège, et non qui opprime.

6. Droits spécifiques négligés : femmes, personnes handicapées, environnement
Dans un pays où les inégalités sociales sont déjà importantes, les groupes vulnérables paient le prix fort de l’inaction politique. Les femmes restent massivement sous-représentées dans les instances de décision, malgré l’instauration d’un quota de 24 sièges réservés à l’Assemblée nationale. Les violences basées sur le genre, notamment conjugales et sexuelles, restent peu dénoncées en raison des tabous culturels et de la crainte de représailles. Les personnes handicapées vivent quant à elles dans une quasi-invisibilité institutionnelle. L’accessibilité aux infrastructures, à l’éducation ou à l’emploi demeure marginale. La loi sur l’inclusion des personnes handicapées peine à être appliquée, faute de volonté politique et de moyens financiers.
Sur le plan environnemental, les politiques restent trop souvent orientées vers l’extraction et l’urbanisation, au détriment de la protection durable des écosystèmes. Les populations rurales sont les premières victimes de la déforestation, de la pollution des cours d’eau et des aléas climatiques. Les droits liés à l’environnement, pourtant essentiels à la survie de nombreuses communautés, ne sont pas encore reconnus comme prioritaires. Cette accumulation d’angles morts dans les politiques publiques reflète un modèle de développement inégalitaire, où certains droits sont sacrifiés au nom de la performance économique. Le respect des droits spécifiques ne devrait pas être une option, mais un fondement de la justice sociale.
