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Bénin/Justice: Du rififi judiciaire indigne d’un État de droit

Un véritable feuilleton judiciaire secoue actuellement le Bénin, mettant en lumière des tensions entre l’exécutif, la justice et le barreau. Au cœur de cette tempête : le refus du barreau de commettre des avocats d’office tant que les honoraires en souffrance depuis 2019 ne sont pas réglés. Une situation qui a conduit à l’arrêt des sessions criminelles pour les accusés sans moyens financiers, alors que d’autres procès se tiennent pour ceux pouvant s’offrir une défense privée.

Dans ce climat déjà tendu, une affaire encore plus troublante vient jeter le discrédit sur l’appareil judiciaire : un recours en inconstitutionnalité contre le bâtonnier Me Angelo Aimé HOUNKPATIN, initié par une requérante… qui affirme ne jamais avoir saisi la Cour Constitutionnelle.

Bâtonnier Me Angelo Aimé HOUNKPATIN

L’impasse financière du barreau et l’arrêt des commissions d’office

Depuis 2019, l’État béninois accumule des dettes envers les avocats commis d’office, une situation dénoncée à plusieurs reprises par le Conseil de l’ordre et le bâtonnier. Face à l’inaction du gouvernement, une décision radicale a été prise : aucun avocat ne serait plus commis d’office tant que les arriérés ne seraient pas réglés.

Ce bras de fer a entraîné une conséquence directe sur l’organisation des sessions criminelles. Seuls les accusés pouvant payer leurs avocats voient leurs affaires examinées, tandis que ceux qui devraient bénéficier d’une défense d’office sont laissés en attente, leurs procès suspendus.

C’est dans cette conjoncture particulière qu’intervient le procès d’Olivier BOKO, Oswald HOMEKY et Rock NIERI, un dossier hautement médiatisé.

Le refus du bâtonnier face à la CRIET

Lorsque les avocats d’Olivier BOKO et ses co-accusés se sont déconstitués, le bâtonnier a été sollicité pour leur commettre des avocats d’office. Sa réponse fut claire et sans appel : tant que les dettes du barreau ne sont pas réglées, aucune commission d’office ne sera acceptée.

Cette position, déjà connue de la CRIET, n’a pourtant pas empêché les autorités judiciaires d’exiger une prise en charge des accusés. Plutôt que de chercher un terrain d’entente ou d’engager un dialogue pour débloquer la situation, une décision surprenante tombe : un recours en inconstitutionnalité contre le bâtonnier est introduit devant la Cour Constitutionnelle. Mais ce recours va prendre une tournure aussi surréaliste qu’inquiétante.

Un faux recours et une usurpation d’identité ?

Le mardi 28 janvier 2025, le bâtonnier et plusieurs avocats se présentent à la Cour Constitutionnelle pour répondre à cette assignation.

Lorsque l’audience s’ouvre, le nom du requérant est appelé. Une femme se lève, visiblement surprise. Elle s’appelle Yelian Ponceline Rustico. Interrogée par la Cour, elle affirme n’avoir jamais saisi l’institution et ne comprend même pas ce que signifie « saisir la Cour ».

L’échange est surréaliste :

  • Cour : « C’est vous qui avez saisi la Cour ? »
  • Yelian Ponceline Rustico : « Qu’est-ce que ça veut dire, saisir la Cour ? »
  • Cour : « Vous avez rédigé ce recours ? »
  • Rustico : « Non ! Je n’ai jamais écrit ça ! Ce n’est pas moi ! »

L’affaire prend une tournure encore plus grave lorsqu’elle est invitée à vérifier sa signature sur le document introduit en justice. Résultat : aucune correspondance entre sa signature officielle et celle figurant sur le recours.

L’affaire est claire : une tierce personne a usurpé son identité pour saisir la Cour Constitutionnelle. Un faux recours, une usurpation d’identité et un usage de faux sont désormais en jeu.

Malgré l’évidence, la Cour persiste

Face à cette révélation, la Cour aurait logiquement dû conclure à l’irrecevabilité du recours. Mais au lieu de cela, elle décide de renvoyer l’audience à 13h.

Entre-temps, quatre avocats se constituent :

  • Me Raoul HOUNGBEDJI
  • Me Cecil Igor SACRAMENTO
  • Me BALOGOUN
  • Me François Atéléni Kèkè

Ces derniers se présentent à l’heure dite, mais la Cour est absente. Après une attente prolongée jusqu’à 15h, ils quittent les lieux.

Coup de théâtre à 16h : un autre avocat revient et introduit un second recours contre le bâtonnier, poursuivant la même logique que le premier, malgré les preuves accablantes de l’usage de faux sur la saisine initiale.

Un État de droit en péril ?

Cette affaire soulève de nombreuses interrogations quant à l’indépendance de la justice au Bénin.

Comment un recours basé sur un faux manifeste peut-il être maintenu par la plus haute juridiction constitutionnelle ? Pourquoi aucune enquête n’est-elle ouverte pour identifier l’auteur de cette usurpation d’identité ?

Dans un pays où l’exécutif s’attaque au dernier bastion de la démocratie qu’est le barreau, la justice est-elle encore un contre-pouvoir indépendant ou un simple instrument de répression politique ?

Le refus du bâtonnier de céder à la pression marque un tournant dans cette crise. Cette situation pourrait avoir des répercussions majeures sur la maison justice, déjà fragilisée par certains actes attentatoires de l’exécutif.

Loin d’avoir livré tous ses secrets même après le verdict, l’affaire BOKO-HOMEKY continue d’alimenter les polémiques, et le système judiciaire béninois semble s’enliser dans une crise sans précédent. Le rendez-vous est désormais pris pour les prochains épisodes de ce dossier, qui pourrait bien marquer un tournant dans l’histoire judiciaire du Bénin.

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