Dans une interview accordée à notre confrère, radio Fraternité FM, Me Ayodélé Ahounou, l’un des avocats de Boni Richard Ouorou, revient longuement sur les circonstances ayant conduit à la détention provisoire de son client, dans une affaire liée à l’obtention du récépissé du parti politique, « Le Libéral ». Il y met en exergue, une mesure disproportionnée et juridiquement contestable.
L’un des points clés de son argumentaire repose sur l’analyse des motifs avancés par les juges pour ordonner le placement sous mandat de dépôt de son client : absence de garantie de représentation et gravité des faits. Selon Me Ahounou, ces justifications manquent de solidité. Le domicile connu de M. Ouorou au Bénin constituerait, selon lui, une garantie suffisante pour assurer sa représentation devant la justice. Il ajoute que l’accusation de « gravité des faits » semble incohérente, dans la mesure où d’autres personnes poursuivies dans le même dossier ne sont pas en détention.
Au-delà de la contestation des motifs, l’avocat évoque le recours à la détention provisoire comme une mesure d’exception qui aurait pu être remplacée par un contrôle judiciaire, moins attentatoire à la liberté individuelle, tout en poursuivant les mêmes objectifs procéduraux. Ce rappel met en lumière un débat récurrent dans les démocraties modernes : celui du juste équilibre entre la sécurité judiciaire et la liberté des personnes mises en cause.

Une accusation de corruption remise en question
Le cœur de l’affaire repose sur une accusation de corruption d’agents publics liée à la délivrance du récépissé du parti Le Libéral. Me Ahounou réfute cette qualification, s’appuyant notamment sur l’absence de remise en cause officielle de la validité du récépissé, tant par le ministère de l’Intérieur que par le procureur spécial. Il soutient que l’élément central du dossier — une prétendue remise d’argent à un agent public — ne constitue pas un acte de corruption au sens strict, puisqu’il serait intervenu après l’obtention du récépissé, dans un élan qualifié de «générosité africaine».
Cet argument, s’il peut sembler culturellement recevable dans certains contextes, reste juridiquement fragile au regard des dispositions en vigueur. En effet, toute remise d’argent à un agent de l’État, même a posteriori, peut être interprétée par les juridictions comme un acte de corruption ou un indice de favoritisme, selon les circonstances et l’intention prêtée à l’auteur. Toutefois, Me Ahounou insiste sur le fait que l’agent ayant reçu l’argent a lui-même indiqué qu’il s’agissait d’un geste spontané, sans contrepartie exigée ni promesse préalable : «Il a mis la main dans son sac et il m’a donné de l’argent».
L’avocat met également en cause la cohérence politique de l’accusation: si, selon lui, il était possible d’acheter un récépissé, le paysage politique serait inondé de partis fictifs, tant du côté de l’opposition que de la mouvance présidentielle. Ce raisonnement soulève une interrogation légitime sur les mécanismes d’autorisation des partis au Bénin, dans un contexte où la délivrance de récépissés demeure un point sensible de la vie politique nationale.
Entre respect de la présomption d’innocence et soupçon politique
Dans la dernière partie de son intervention, Me Ayodélé Ahounou souligne avec insistance l’importance du respect de la présomption d’innocence. Il met en garde contre les jugements précipités nourris par l’opinion publique et appelle à faire preuve de retenue. Selon lui, l’attitude de M. Boni Richard Ouorou, resté serein et disponible malgré la rumeur de poursuites circulant dès la matinée du 15 mai, témoigne de sa bonne foi et de sa volonté de coopérer pleinement avec la justice. Interrogé par des proches alertés par les premières fuites, M. Ouorou aurait réagi sans détour en affirmant : « Oui, c’est vrai, mais je ne me reproche rien dans cette affaire. »
Ce rappel du principe fondamental de la présomption d’innocence est d’autant plus pertinent dans un contexte où la justice est parfois perçue comme instrumentalisée à des fins politiques. Sans aller jusqu’à affirmer une instrumentalisation dans cette affaire, Me Ahounou laisse entendre que la situation de son client pourrait s’expliquer en partie par des considérations extérieures au strict cadre juridique. Son discours, mesuré mais déterminé, vise à replacer le débat sur un terrain de droit, tout en soulignant les possibles dérives d’un système où les procédures exceptionnelles deviennent la norme. Ce faisant, il interroge les pratiques judiciaires dans les affaires politiques sensibles et appelle à une justice équitable, respectueuse des libertés individuelles.
L’affaire Boni Richard Ouorou cristallise plusieurs tensions propres à la vie politique béninoise : la méfiance envers les institutions, le contrôle de l’espace politique, et la question de l’indépendance de la justice. En exposant les arguments de la défense, cette interview éclaire une partie du débat tout en laissant ouvertes de nombreuses questions. Il revient désormais aux juridictions compétentes de trancher, en toute impartialité, pour restaurer la confiance dans l’État de droit.
L’INTERVIEW DE Me AYODELE AHOUNOU
Bonjour monsieur le journaliste, Ayodélé AHOUNOU, l’un des avocats de monsieur Richard Boni Ouorou. Non, ce n’est pas le parquet spécial qui l’a placé en détention provisoire, mais plutôt les juges de la Chambre des Libertés et de la détention qui, il est vrai, ont suivi les réquisitions du procureur spécial à cette fin. D’abord, il faut noter que la finalité de la détention provisoire, c’est entre autres de pouvoir mettre la personne en poursuivie à la disposition de la justice tout le processus judiciaire. Les juges de la Chambre des Libertés et de la détention ont soutenu la décision de placement sous mandat de dépôt de monsieur Ouorou en évoquant entre autres, l’absence de garantie de représentation de celui-ci et une prétendue gravité des faits.
Quand vous prenez d’abord le premier volet, ça ne semble pas pertinent à l’avis de la défense, parce que qui conque à un domicile connu sur le territoire béninois doit pouvoir être considéré comme présentant des garanties de représentation. Également, sur la gravité des faits. Mais vous savez, que dans ce dossier, quatre personnes sont possibles, mais toi seulement, on a été placé en détention provisoire. Et donc, la quatrième personne est poursuivie sans mandat. Alors, si l’on veut évoquer la gravité des faits pour aller à cette extrémité de la privation de la liberté, ça ne semble pas pertinent non plus. Dans la mesure où la gravité est objective, et s’il devrait en être le cas, tout le monde devrait se retrouver dans cette détention provisoire. Nous avons aussi fait observer que la détention, on le sait, elle est exceptionnelle. Et donc, avant de d’y parvenir, si les juges estiment que la liberté générale de la personne poursuivie ne permet pas surtout de la mettre à la disposition de la justice, la loi a prévu une autre institution qu’on appelle le contrôle judiciaire, qui aurait pu valablement aboutir, ou faire aboutir à la même finalité de la mise à disposition de la personne poursuivie à la disposition de la justice.
Alors, vous le savez, ce qu’on lui reproche pour s’en tenir au propos du procureur, retenez principalement qu’il lui ait reproché la corruption d’agents publics. Mais M. Ouorou, évidemment, au regarde des constances du dossier, ne se reconnaît pas dans cette infraction et il a des raisons solides le faire. D’abord, vous auriez vous -même relevé qu’à aucun moment, ni dans le communiqué prêté, au ministre de l’Intérieur, et ni dans le point de presse donné par le procuré spécial, à aucun moment il n’y a été relevé que le récépissé obtenu par son parti est un récépissé frauduleux et qu’on aurait obtenu un récépissé alors que toutes les pièces requises ne seraient pas réunies. Et donc, un récépissé régulier. Vous connaissez très bien la sensibilité du système politique dont notre pays, a fait le choix actuellement. Et donc, vous pouvez facilement imaginer qu’il est impossible qu’on puisse, au moyen de la corruption, obtenir un récépissé. Si tel était le cas, on aurait pu peut-être, déjà, à l’instant où nous parlons, dix partis complémentaires ou supplémentaires de l’opposition et dix autres au niveau de la mouvance parce que les acteurs politiques pourraient se dire, «si on peut sortir de l’argent, on pourrait l’avoir». Personne ne peut avoir de récépissé de parti politique en sortant de l’argent. Et donc, oui, il a été dit qu’un agent du ministère de l’Intérieur a reconnu, avoir reçu de l’argent. Mais, il faut préciser que cette remise lui a été faite postérieurement à l’obtention du récépissé. Et lui-même, il a dit clairement et sans ombre que, quand M. Ouorou a appris que son récépissé provisoire est signé, pris d’euphorie pour reprendre ses termes, «il a mis la main dans son sac et il m’a donné de l’argent». Et donc manifestement, nous sommes tout au plus dans une circonstance de générosité africaine et je peux vous dire que si M. Boni Richard Ouorou est là actuellement, il me semble beaucoup plus être victime de cette tradition africaine qui veut que spontanément vous reconnaissez, même si vous ne devez rien à quelqu’un vous lui faites un geste. Donc, c’est tout le dossier. Alors, la suite de la procédure c’est que l’instruction va continuer et nous espérons de façon technique, mettre tous les éléments de droit imaginable à la disposition de notre client afin d’obtenir le plus rapidement possible, sa mise en liberté provisoire pour qu’il retrouve sa famille et reprenne ses activités politiques pour le bonheur et pour l’apaisement dans notre pays.
Mais il faut également noter, c’est très important pour l’image de notre pays, que le simple fait que des personnes et des citoyens soient soupçonnés, et il est dans les prérogatives du Parquet spécial d’initier une poursuite, mais cette poursuite en elle-même ne signifie pas que les gens sont coupables, et cela ne signifie pas non plus qu’ils ne le sont pas. Et donc la présomption d’innocence est une donnée fondamentale de notre République, et pour la préservation de ce droit fondamental. Il est important que l’on respecte cette présomption et que l’on se dit que demain, les personnes poursuivies peuvent se retrouver acquittées ou relaxées, et ne pas distiller dans l’opinion des jugements avant jugement.
Un autre élément assez pesant en termes d’éléments à décharges, il ne vous échappera pas, que la rumeur selon laquelle des agents du ministère de l’Intérieur auraient été interpellés pour des motifs de corruption liés à l’obtention du récépissé du parti de M. Ouorou, avait été distillée dans la matinée de son interpellation. M. Ouorou restait tout tranquillement et sereinement à son siège, en travaillant avec les membres de son parti, et il n’a été interpellé que le soir, et personne n’a pu dire que c’est en prenant la fuite que la police lui a mis la main dessus. Donc vous avez en face un citoyen qui, à priori, ne se reproche rien, qui a eu les informations de cette rumeur comme tout le monde et que des proches ont contacté pour demander « Est-ce que c’est vrai cette histoire » et sa première réaction a été ; «Oui, c’est vrai, mais je ne me reproche rien et dans cette affaire». Et donc, c’est autant d’indices et d’éléments qui montrent qu’en réalité nous sommes en face d’une situation dans laquelle, ni de près ni de loin, l’on ne peut penser que si corruption il y avait, cela pourrait être constitué à son égard.