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Communiqué du collectif d’avocats du journaliste Sossoukpè : Une extradition opaque qui suscite l’indignation

Journaliste béninois réfugié au Togo depuis 2019, sous protection internationale, Comlan Hugues Sossoukpè a été interpellé en Côte d’Ivoire puis transféré au Bénin, dans des conditions qui soulèvent de vives inquiétudes. Son collectif d’avocats dénonce une procédure illégale, contraire au droit international, et appelle à une mobilisation urgente pour préserver ses droits fondamentaux.

C’est un communiqué emprunt de gravité, inhabituellement solennel, que le Collège d’Avocats de Comlan Hugues Sossoukpè a rendu public ce 13 juillet 2025. Le ton, alarmé, témoigne de la situation préoccupante dans laquelle se trouve leur client. Journaliste engagé, défenseur des droits humains et directeur de publication du journal Olofofo, Sossoukpè est depuis 2019 réfugié à Lomé, au Togo, sous la protection de la Convention de Genève.

Mais le 8 juillet dernier, il se rend à Abidjan à l’invitation du ministère ivoirien de la transition numérique pour participer à l’Ivoire Tech Forum. Il y est accueilli officiellement, comme intervenant. Trois jours plus tard, le 11 juillet, des rumeurs d’interpellation circulent sur les réseaux sociaux et dans la presse béninoise. Les autorités ivoiriennes l’auraient remis à leurs homologues du Bénin. Un enlèvement déguisé.

Selon les mêmes sources, il serait détenu depuis à la prison civile de Ouidah après avoir été présenté devant le procureur de la CRIET (Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme). Ni le Bénin ni la Côte d’Ivoire n’ont confirmé officiellement ces faits, ajoutant à la confusion générale. Le silence des deux États nourrit l’inquiétude.

Une procédure opaque, un statut bafoué

Pour ses avocats, cette arrestation constitue une violation manifeste du droit international. Détenteur du statut de réfugié au Togo, Sossoukpè ne pouvait légalement être remis à son pays d’origine, encore moins sans décision judiciaire. L’article 33 de la Convention de Genève interdit en effet le refoulement d’un réfugié vers un territoire où il risque des persécutions.

Le communiqué du collectif d’avocats dénonce ainsi une extradition déguisée, opérée dans le plus grand secret, sans respect des garanties procédurales. « Le choix délibéré de garder secrète la procédure qui vise notre client constitue une violation flagrante de la Constitution béninoise », rappellent-ils. Pire encore, ni ses proches, ni ses conseils n’ont pu le joindre ou le voir. Une situation qui viole ses droits fondamentaux : à un procès équitable, à l’assistance d’un avocat, et à la protection de sa dignité.

Les avocats s’insurgent aussi contre l’absence d’information officielle. Ni la Côte d’Ivoire, où il a été arrêté, ni le Bénin, qui l’a reçu, n’ont expliqué publiquement les circonstances de ce transfert. Une opacité inacceptable au regard des engagements internationaux des deux pays.

Appel à la responsabilité des États

Face à cette situation jugée grave et illégale, le collectif de défense exhorte les autorités ivoiriennes et béninoises à rendre des comptes. Il exige « une communication immédiate et circonstanciée » sur la détention de M. Sossoukpè, ainsi que le respect de son statut de réfugié.

Ils appellent également à l’accès de leur client à ses avocats, à ses proches et aux organisations de défense des droits humains. Un accès qui, à ce jour, n’a toujours pas été autorisé. Le communiqué pointe également la responsabilité de l’État ivoirien dans ce qu’il qualifie de manquement à son devoir de protéger une personne bénéficiant de la protection internationale. En accueillant un réfugié puis en le transférant à son pays d’origine sans procédure transparente, Abidjan aurait contrevenu à ses obligations internationales.

Le collectif en appelle enfin à une mobilisation nationale et internationale pour éviter que Sossoukpè ne soit victime de traitements inhumains ou dégradants. Il redoute que ce journaliste critique du pouvoir béninois soit visé pour ses prises de position publiques et ses enquêtes.

Une affaire énième affaire qui révèle des dangers pour la presse

L’affaire Sossoukpè s’ajoute à une série d’événements préoccupants pour la liberté de la presse en Afrique de l’Ouest. Le précédent le plus proche est celui de Steve Amoussou alias Frère Hounvi, cyberactiviste béninois également réfugié au Togo, enlevé en août 2024 devant son domicile. Il a été jugé et condamné à deux ans de prison pour injures à caractère politique.

Dans les deux cas, des défenseurs de la liberté d’expression ont été arrêtés hors du Bénin, dans des conditions jugées opaques, puis remis aux autorités de leur pays d’origine malgré leur statut de réfugié. Le parallèle entre ces deux affaires ne fait qu’accroître la vigilance des organisations de défense des droits humains, qui dénoncent une dérive régionalisée du refoulement de journalistes critiques.

Le Collectif d’Avocats de Sossoukpè conclut son communiqué par une mise en garde solennelle : toute interpellation opérée hors cadre légal et en violation du statut de réfugié ne saurait être considérée comme légitime. Une telle pratique relèverait d’un abus de pouvoir et engagerait la responsabilité des États et de leurs représentants devant les juridictions nationales et internationales.

Vers un test de l’État de droit en Afrique de l’Ouest ?

Au-delà du cas personnel de Comlan Hugues Sossoukpè, cette affaire pose la question de la solidité des protections internationales dans la région. Que vaut aujourd’hui le statut de réfugié en Afrique de l’Ouest si des transferts arbitraires peuvent être opérés au mépris du droit ? Comment garantir que la liberté d’expression soit réellement protégée, si des journalistes peuvent être arrêtés dans un pays voisin et extradés discrètement ?

Le silence des autorités ne fait qu’ajouter à l’opacité d’un dossier où la justice devrait pourtant être transparente. À travers cette affaire, c’est la crédibilité des États et leur engagement envers l’État de droit qui est en jeu. À l’heure où de nombreux pays africains s’érigent en champions de la démocratie, ces pratiques interrogent et risquent d’ébranler la confiance dans leurs institutions.

Le collectif d’avocats de M. Sossoukpè reste mobilisé. Il promet d’engager toutes les voies de recours possibles pour garantir les droits de leur client. Une affaire à suivre de très près dans les jours à venir.

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