À la SBEE, les promesses d’électrification universelle se succèdent, comme les directeurs généraux. En neuf ans, sept capitaines à la barre, mais toujours pas de cap clair. Entre coupures récurrentes, zones rurales oubliées et réseaux vétustes, le courant ne passe toujours pas. L’électricité reste un privilège pour quelques-uns, alors qu’elle devrait être un droit pour tous. Et derrière les beaux discours, les échecs s’accumulent. La lumière promise peine encore à percer l’obscurité de la gestion. À ce rythme, vendre de l’électricité à la Chine restera une chimère… au moins jusqu’à la Saint-Glinglin.
Presque une décennie après les promesses lumineuses d’un accès universel à l’électricité, la Société Béninoise d’Énergie Électrique (SBEE) tangue toujours comme un navire sans gouvernail. Depuis 2016, sept dirigeants se sont succédé à sa tête, soit une moyenne d’un nouveau capitaine tous les 18 mois. Pourtant, les résultats, eux, peinent à suivre. Instabilité managériale, coupures récurrentes, infrastructures vieillissantes, zones rurales toujours dans le noir… L’électricité reste un luxe pour beaucoup de Béninois. Pendant que les discours officiels évoquent des contrats de performance et de modernisation, la réalité du terrain raconte tout autre chose. À ce rythme, vendre de l’électricité à la Chine restera une chimère… au moins jusqu’à la Saint-Glinglin.

Une décennie de turbulences managériales
Depuis 2016, la SBEE a testé différents modèles de gestion, en alternant direction locale et management délégué. Le mandat de Laurent Tossou (2016–2019) a été marqué par des efforts de redressement interne. Mais dès 2019, l’État confie les rênes à la société canadienne Manitoba Hydro International Ltd (MHI), espérant bénéficier d’une expertise rigoureuse. Jacques Paradis, puis Gérard Zagrodnik, s’y succèdent entre 2019 et 2023. Très vite, le modèle canadien montre ses limites : manque de données fiables, résistance des équipes internes, lenteur dans la mise en œuvre.
En 2023, changement de cap. L’État tente un retour à une gouvernance locale, mais de courte durée. Edwige Hountondji et Gabriel Degbégni se succèdent rapidement sur quelques mois. En décembre 2023, c’est finalement André-Marie Kaczmarek, représentant du groupe panafricain Eranove, qui est nommé pour incarner un nouveau souffle. Il sera remplacé en juillet 2025 par Hippolyte Ebagnitchie, toujours dans le cadre du contrat avec Eranove. Malgré ces changements en cascade, les résultats se font toujours attendre.
Un contrat de gestion ambitieux, des résultats mitigés
Le contrat Eranove, signé en 2022, fixait des objectifs ambitieux : raccorder 16 149 nouveaux abonnés d’ici 2026, réduire les pertes techniques à 16 %, et installer 50 000 nouveaux branchements grâce à l’appui de l’Union européenne. Mais selon un audit de 2023 commandité par la Délégation de l’UE, seuls 41 % des objectifs avaient été atteints à mi-parcours. Les retards de coordination entre la SBEE, les prestataires techniques et les autorités béninoises freinent lourdement l’exécution.
Dans le nord du pays, les départements de l’Atacora et de l’Alibori présentent des taux de raccordement inférieur à 12 %. L’électrification rurale, qui devait être la priorité, reste largement marginalisée.
Un réseau vétuste, une dépendance persistante
Malgré une hausse du nombre d’abonnés (835 000 en 2022), l’équité territoriale reste loin d’être atteinte. Selon l’ABE, 67 % des ménages urbains ont accès à l’électricité, contre seulement 10 % en milieu rural. Les équipements vieillissent : 43 % des transformateurs ont plus de 20 ans. En 2023, le Bénin dépendait toujours à 72 % des importations via la CEB. Les projets nationaux comme PROMER et PA2ERP sont ralentis par des surcoûts, des lenteurs logistiques et des retards chroniques.
Tableau récapitulatif des directions de la SBEE (2016–2025)
| Période | Dirigeant | Structure / Partenaire |
| 2016–2019 | Laurent Tossou | SBEE |
| 2019–2021 | Jacques Paradis | Manitoba Hydro Int’l |
| 10/2021 – 06/2023 | Gérard Zagrodnik | Manitoba Hydro Int’l |
| 07/2023 – 07/2023 | Edwige Hountondji | SBEE (Secrétaire générale) |
| 08/2023 – 12/2023 | Gabriel Degbégni | MCA |
| 12/2023 – 08/2025 | André-Marie Kaczmarek | Eranove |
| 08/2025 – Présent | Hippolyte Ebagnitchie | Eranove |
Constats clés et défis persistants
- Pertes techniques et commerciales toujours supérieures à 20 %, compromettant la viabilité financière.
- Coupures fréquentes, maintenance réactive, services peu fiables.
- Instabilité managériale chronique : 7 dirigeants en 9 ans, peu de vision stratégique durable.
- Opacité dans les contrats et absence de publication des rapports de performance.
- Dépendance élevée vis-à-vis de la CEB, exposant le pays à des risques sécuritaires régionaux.
- Équité territoriale toujours hors de portée malgré les financements extérieurs.
Perspectives : quelles pistes pour un avenir plus stable ?
Pour sortir la SBEE de ce cycle d’instabilité, plusieurs mesures structurantes s’imposent :
- Stabiliser la gouvernance avec des mandats de direction de 5 ans non révocables sauf en cas de faute grave.
- Publier les contrats de gestion et les évaluations de performance pour instaurer la transparence.
- Décentraliser l’électrification rurale, avec des programmes spécifiques et une gouvernance locale.
- Accélérer les investissements dans la production locale, notamment solaire, pour réduire la dépendance aux importations.
- Créer un observatoire citoyen de l’énergie, indépendant, chargé de suivre les projets et d’alerter en cas de dérive.
À force de changer de pilote sans revoir la boussole, la SBEE risque de continuer à naviguer à vue. Et pendant ce temps, des milliers de Béninois attendent toujours… la lumière. suivi, renforcerait la gouvernance participative.
