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Bénin/Auto-parrainage : le grand flou qui dérange

À quelques mois de la présidentielle de 2026, le Bénin s’enfonce dans une zone d’ombre juridique autour de la question de l’auto-parrainage. Le désistement inattendu des députés Éric Houndété et Joël Godonou a privé la Cour constitutionnelle d’une occasion historique de clarifier un point essentiel : un député peut-il se parrainer lui-même ? En choisissant le silence, la haute juridiction entretient une ambiguïté qui alimente les soupçons de calculs politiques. Ce flou affaiblit la confiance dans le processus électoral et soulève une question centrale : à qui profite cette incertitude soigneusement maintenue ?

À l’approche de la présidentielle de 2026, le Bénin s’enlise dans un flou juridique et politique autour de la question de l’auto-parrainage. Ce sujet, à la fois technique et hautement stratégique, est devenu le symbole d’un malaise institutionnel profond. Le désistement surprise des députés Éric Houndété et Joël Godonou, qui avaient saisi la Cour constitutionnelle pour contester leur exclusion potentielle de la course présidentielle, a empêché la haute juridiction de trancher une question décisive : un député peut-il se parrainer lui-même ? En se taisant, la Cour laisse planer une ambiguïté qui nourrit les soupçons de calculs politiques. Ce silence fragilise la confiance électorale et relance une interrogation brûlante : à qui profite cette incertitude savamment entretenue ?

Tout commence le 10 octobre 2025, lorsque la Cour constitutionnelle rend sa décision EP 25-003. Dans ce document, la haute juridiction, présidée par Cossi Dorothée Sossa, acte le désistement des députés Éric Camille Houndété et Joël Godonou, tous deux membres du parti Les Démocrates. Les deux hommes avaient pourtant saisi la Cour pour dénoncer une orientation interne de leur formation visant à les écarter de la course à la présidentielle de 2026, sous prétexte que l’auto-parrainage – le fait pour un élu de se parrainer lui-même – serait contraire à l’esprit du code électoral. Leur démarche, hautement symbolique, promettait un débat constitutionnel de fond : la Cour allait-elle valider le droit pour un député d’utiliser sa propre signature comme parrainage, ou au contraire, considérer ce geste comme contraire à l’éthique électorale ? Ce recours, à la fois audacieux et risqué, aurait pu clarifier l’une des zones les plus floues du droit électoral béninois.

Un désistement qui tombe comme un couperet

Mais, à la surprise générale, les requérants se désistent avant même l’audience. En un instant, la perspective d’une décision historique s’effondre, et le pays reste dans le doute. Dans sa décision, la Cour se contente de “donner acte” du retrait et de radier l’affaire du rôle. Pas de débat, pas d’interprétation, pas de jurisprudence. L’argument est procédural : les requérants ont choisi de se retirer, donc la Cour n’a plus matière à statuer. Mais derrière la neutralité apparente de cette formule se cache une abdication politique. La Cour, pourtant gardienne de la Constitution et garante de la régularité des élections, se décharge d’une responsabilité fondamentale : celle de dire le droit là où il manque.

Résultat : aucune clarification n’est apportée sur la validité de l’auto-parrainage. Le flou demeure. Et ce flou n’est pas neutre. Il ouvre un champ d’interprétation qui, à défaut de droit, laisse régner la politique. Ce débat autour du parrainage ne date pas d’hier. Depuis la réforme du code électoral de 2019, renforcée par la loi de mars 2024, le Bénin exige de tout duo présidentiel qu’il obtienne au moins 15 % de parrainages des députés et maires – soit 28 signatures sur un total de 186 élus. Une exigence présentée comme un filtre de sérieux, mais qui s’est transformée en verrou politique.

Le texte, pourtant, ne précise pas si un élu candidat peut s’auto-parrainer. En 2021, Mariam Chabi Talata, alors députée, l’avait fait sans contestation. En 2025, le directeur général des élections de la CENA déclarait encore : « Si l’on peut voter pour soi-même, on peut aussi se parrainer. »
Mais entre-temps, le climat politique a changé, et le silence du droit est devenu un instrument de contrôle. Ce qui semblait une évidence démocratique se mue en une arme de sélection.

Une décision de désistement sans décision de fond

Le désistement des députés Houndété et Godonou évite à la Cour de se prononcer sur une question explosive, mais il laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Et dans ce vide, les acteurs politiques avancent leurs pions.

Les partis dominants, d’abord, sont les premiers bénéficiaires de cette incertitude. Détenant la majorité des députés et des maires, ils contrôlent de fait le système des parrainages. L’ambiguïté leur permet d’imposer ou d’exclure des candidatures selon les rapports de force du moment. Ce qui devrait être une garantie de représentativité devient un outil d’exclusion politique.

Le paradoxe est cruel : Les Démocrates, principal parti d’opposition, se retrouve victime du mécanisme qu’il dénonçait. Avec seulement 28 députés, soit le seuil minimal pour parrainer une candidature, il lui suffit qu’un seul élu fasse défection pour que toute candidature devienne impossible. Si l’auto-parrainage est interdit, la formation n’a tout simplement plus les moyens mathématiques de concourir.

Dans cette configuration, la Cour constitutionnelle apparaît comme l’arbitre silencieux d’un jeu d’équilibres précaires. Certains observateurs estiment d’ailleurs que le désistement “arrange” la Cour. En ne statuant pas, elle évite une tempête politique à quelques mois d’un scrutin hautement sensible. Mais ce choix de prudence institutionnelle a un prix : celui de la crédibilité. Car le silence du juge, dans une démocratie, équivaut parfois à un non-dit qui pèse plus lourd qu’un verdict. La décision EP 25-003 illustre ce malaise : la Cour ne se compromet pas, mais ne protège pas non plus la clarté du processus. Elle se réfugie dans une neutralité procédurale, au risque de laisser la politique dicter la norme.

La volte-face des deux députés n’en demeure pas moins intrigante. Pourquoi saisir la plus haute juridiction du pays pour se désister aussitôt ? Trois hypothèses émergent. La première évoque des pressions internes au sein du parti, soucieux d’éviter un conflit ouvert avec la Cour, ou de préserver l’unité fragile de son appareil politique.
La deuxième, plus politique, évoque une négociation en coulisse, où le désistement aurait pu faire partie d’un compromis ou d’une stratégie de temporisation en vue d’une candidature d’union.
La troisième hypothèse, enfin, tient du calcul : se retirer pour ne pas s’exposer à un rejet et laisser à d’autres la charge d’obtenir une clarification juridique. Quoi qu’il en soit, ce retrait prive la Cour d’une occasion historique de renforcer l’État de droit. Et il prive les citoyens d’un éclairage sur une question qui engage directement la transparence et la pluralité du jeu démocratique.

Une réaction en chaîne : la société civile entre en scène

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le lendemain de la décision, cinq juristes béninois – Landry Angelo Adelakoun, Romaric Zinsou, Miguèle Houeto, Fréjus Attindoglo et Conaïde Akouedenoudjè – déposent une nouvelle requête devant la Cour. Cette fois, ils ne demandent pas à la haute juridiction d’arbitrer un conflit individuel, mais de se prononcer d’office sur le cadre électoral. Ils dénoncent son “mutisme”, qu’ils jugent contraire aux articles 3 et 117 de la Constitution, lesquels font de la Cour le garant de la régularité des élections présidentielles. Selon eux, ce silence est non seulement une faute d’omission, mais un acte politique en soi : « Le mutisme de la Cour, écrivent-ils, nourrit une psychose préjudiciable à la paix sociale. » Leur démarche illustre un malaise plus profond : la perception d’une institution qui choisit de ne pas agir là où elle devrait garantir la clarté du jeu démocratique.

Derrière cette bataille juridique se joue une lutte symbolique : celle de la souveraineté du droit face à la raison politique. Car l’auto-parrainage n’est pas qu’un débat technique. Il touche au cœur même du contrat démocratique. Permettre à un élu de se parrainer, c’est reconnaître que son mandat est une légitimité politique ; l’en empêcher, c’est subordonner la candidature à la volonté d’un appareil partisan ou d’une majorité parlementaire. Ne pas trancher cette question, c’est laisser ouverte la possibilité d’un verrouillage électoral, où seuls les candidats agréés par les majorités en place peuvent concourir. Dans un tel système, le parrainage cesse d’être une caution républicaine pour devenir une barrière d’exclusion.

À qui profite ce flou ?


La réponse n’est pas simple, mais elle semble évidente. Aux majorités en place, d’abord, qui peuvent modeler le jeu électoral à leur convenance. Aux partis prudents, qui préfèrent éviter la confrontation publique et garder la main sur la désignation interne de leurs candidats. Et peut-être aussi à certaines institutions, qui trouvent dans l’ambiguïté une forme de confort : celui d’échapper à la critique directe. Mais le grand perdant, ici, reste le citoyen électeur. Condamné à évoluer dans une zone grise, il observe, impuissant, les règles changer au gré des rapports de force. Ce qui devrait être un débat de droit devient une partie d’échecs politique. Aujourd’hui, la balle est de nouveau dans le camp de la Cour. Le nouveau recours déposé par les juristes pourrait, en théorie, la forcer à s’exprimer. Mais la question demeure : en aura-t-elle la volonté ?
Chaque silence, dans ce contexte, devient un message. Chaque non-décision, un acte politique.

Le Bénin, longtemps cité en exemple pour la solidité de son modèle démocratique, traverse une épreuve de maturité. La question de l’auto-parrainage est peut-être moins un problème technique qu’un test de courage institutionnel. Dire le droit, c’est parfois affronter le pouvoir. Et c’est justement ce que les citoyens attendent d’une Cour constitutionnelle. La décision EP 25-003 restera dans les annales, non pas pour ce qu’elle a dit, mais pour ce qu’elle n’a pas dit. Le silence du juge constitutionnel, provoqué par le désistement des requérants, maintient le pays dans un équilibre précaire, où la frontière entre prudence et abdication devient floue.
La question de l’auto-parrainage, elle, continue de hanter le débat politique.
Jusqu’à ce qu’une institution ait enfin le courage de trancher, le Bénin restera suspendu à cette interrogation : quand le droit se tait, qui parle à la place de la démocratie ?

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