Le discours sur l’état de la Nation prononcé par le Président Patrice Talon le 20 décembre 2024 continue de diviser l’opinion. Dans une analyse virulente, l’ancien ministre et député Valentin Djenontin-Agossou critique sévèrement l’intervention présidentielle, accusant le chef de l’État de manipuler la réalité, de mépriser la contradiction politique et de fragiliser la démocratie béninoise. L’ancien ministre exhorte Patrice Talon à adopter une posture plus sincère et à cesser ce qu’il appelle un « théâtre politique« Retour sur les points saillants et les controverses soulevées.
Djenontin-Agossou n’a pas mâché ses mots concernant la posture du Président Talon lors de son discours devant l’Assemblée nationale. Selon lui, le chef de l’État semblait « fragilisé » et « fébrile », mais affichait une arrogance troublante. Un président « ébranlé et suffisant » remarque-t-il. Ces impressions, confie-t-il, s’opposent à l’image d’un leader rassembleur et confiant qu’un Président devrait incarner lors d’un exercice aussi solennel. Le ton du discours, qualifié de « hautain et irrespectueux », aurait davantage défié les Béninois que renforcé leur cohésion. L’ancienne figure politique y voit une tentative d’intimidation plutôt qu’un effort d’unification nationale.
Le temple de la contradiction : un concept contesté
Patrice Talon a qualifié l’Assemblée nationale de « temple de la contradiction politique », une déclaration qui a suscité l’indignation de Djenontin-Agossou. Il y voit une « profanation lexicale » et accuse le chef de l’État de ne tolérer aucune forme d’opposition. Il rappelle plusieurs épisodes qui, selon lui, illustrent cette hostilité à la contradiction :
- Révision constitutionnelle de 2017 : Talon aurait exigé un vote sans débat, réduisant les députés au rôle de simples exécutants.
- Exclusion de l’opposition : Le certificat de conformité imposé pour les élections législatives de 2019 aurait été un outil de suppression des partis d’opposition.
- Parlement monocolore : Djenontin-Agossou dénonce une 8ᵉ législature dominée par des élus acquis à la cause présidentielle, consolidée après des violences électorales.
Ces éléments, affirme-t-il, montrent un président déterminé à neutraliser toute voix dissidente.
Un développement sous tension : une réalité en trompe-l’œil
Dans son discours, Patrice Talon s’est félicité des avancées du Bénin malgré les incertitudes globales. Mais cette déclaration suscite le scepticisme de Djenontin-Agossou. Il accuse le chef de l’État de maquiller une réalité marquée par des tensions sociales et politiques croissantes.
Les blessures de 2019 et 2021 : un traumatisme persistant
L’ancien député rappelle les violences électorales de 2019 et 2021, largement médiatisées, qui auraient marqué durablement les esprits. Il évoque des scènes tragiques, telles que des femmes fusillées ou des jeunes mutilés, décrivant un climat de terreur imposé pour asseoir le pouvoir du Président. Selon lui, ces événements démontrent que le Bénin avance non pas « sans tapage », comme le prétend Talon, mais au prix de divisions profondes et d’un lourd tribut humain.
Le code électoral est un frein à la démocratie affirmeDjenontin-Agossou, qui le décrit comme un instrument de contrôle autoritaire, conçu pour étouffer la concurrence électorale en vue des générales de 2026. Ce texte, dit-il, est unanimement rejeté par les forces politiques, sociales et religieuses du pays. Cette loi, combinée à l’absence de membres de l’opposition dans les institutions de la République, serait, selon lui, un exemple flagrant de l’érosion démocratique sous le régime Talon.
L’ancien ministre s’interroge sur la légitimité de Patrice Talon à parler d’unité nationale. Il cite une déclaration attribuée au Président, selon laquelle « le pouvoir ne retournera plus jamais au Nord », qu’il juge dévastatrice pour la cohésion nationale. Une telle rhétorique, estime-t-il, alimente les fractures régionales et compromet l’équilibre sociopolitique du pays. Des propos polémiques qui mettent en péril l’unité nationale, prévient l’auteur.
Une gouvernance sous influence: justice et institutions vassalisées
Djenontin-Agossou accuse le Président d’avoir instrumentalisé la justice et la police pour servir ses intérêts politiques. Il pointe du doigt :
- L’arrestation et la condamnation d’opposants : Des figures comme Reckya Madougou et Joël Aïvo auraient été victimes de procès orchestrés.
- La désignation des élus locaux : La suppression des élections directes pour les maires et chefs de quartier illustre, selon lui, une centralisation excessive du pouvoir. Ces mesures, conclut-il, réduisent la République à une gestion autocratique.
Un appel à la cohérence et à l’apaisement
Dans son texte, Djenontin-Agossou exhorte Patrice Talon à adopter une posture plus sincère et à cesser ce qu’il appelle un « théâtre politique ». Il l’invite à travailler véritablement à la paix et à l’unité du Bénin, au lieu de projeter une image biaisée sur la scène internationale.
Alors que le discours sur l’état de la Nation devait incarner un moment de rassemblement, il semble avoir renforcé les clivages. La question demeure : le Bénin peut-il réellement avancer sur le chemin de son développement si le dialogue et la contradiction sont étouffés ?
Valentin Djenontin-Agossou relance le débat sur la gouvernance de Patrice Talon, invitant les citoyens et les observateurs à une réflexion profonde sur l’état actuel de la démocratie béninoise.
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Le texte de Valentin Djenontin-Agossou
ANALYSE DU DISCOURS DU CHEF DE L’ETAT SUR L’ETAT DE LA NATION 2024.
Vendredi 20 décembre 2024 devant les députés au Palais des Gouverneurs à Porto-Novo, le Chef de l’Etat du Bénin, Patrice Talon a prononcé son discours sur l’état de la Nation.
Avant d’émettre mon opinion sur le contenu du discours du Chef de l’Etat, je voudrais apprécier sa posture et son état d’âme.
D’abord, J’ai vu à la tribune un président moralement et psychologiquement diminué, anxieux, agressif, ébranlé, fragilisé, apeuré, fébrile, vulnérable et très prétentieux.
Ensuite, j’ai été scandalisé par les dernières phrases du discours du chef. Elles sont empreintes de suffisance, d’arrogance, d’orgueil, de mépris, de menaces, d’intimidations vis-à-vis du peuple souverain, seul détenteur du pouvoir politique. J’ai vu un président qui, au lieu d’édifier la Nation par son discours, l’a plutôt défiée.
J’ai vu un Président mythomane et amnésique. C’est malheureux et affligeant.
Enfin le ton du discours qui est hautain, indécent et irrespectueux.
Quant au contenu du discours, quelques passages ont retenu mon attention et je souhaite les partager avec vous. Cela prendra beaucoup de temps ; raison pour laquelle je ferai ma présentation en plusieurs séquences.
PREMIERE PARTIE : TEMPLE DE CONTRADICTION ET FOYERS DE TENSION.
1. « Je me fais le devoir et le plaisir de venir ici, dans le temple de la contradiction politique ».
Un temple est un sanctuaire. Je supplie le chef d’éviter prochainement cette profanation lexicale.
Entendre le président Talon qualifier le parlement de temple de contradiction politique, c’est abuser du peuple. C’est à la limite une injure d’abord pour les députés assis en face de lui, et ensuite une gifle au peuple béninois.
Le profil psychologique de Monsieur Patrice Talon n’a jamais admis la contradiction.
Dans le domaine politique, il déteste la contradiction plus que la peste et le choléra.
• En avril 2017, le Président Patrice Talon a exigé des députés de la 7ème législature de voter le projet de révision de la Constitution sans débat à l’Assemblée nationale ; un texte dont nous n’avons même pas reçu copie. Lorsqu’il avait reçu mon groupe parlementaire avec messieurs Olivier Boko et Joseph Djogbénou dans l’une des villas présidentielles construites par le président Yayi Boni, il nous a dit : « si vous avez des préoccupations sur le texte, c’est le lieu de les exprimer. A l’Assemblée, il n’y aura pas de débat sur le texte ». Maître DJOGBENOU fait la lecture d’une portion du texte. Patrice Talon et Olivier Boko font les commentaires, puis on nous donne la parole. La suite, ce projet a été soumis à l’Assemblée nationale en procédure d’urgence lors d’une session extraordinaire convoquée à cet effet. Heureusement que le parlement a rejeté ce funeste projet de révision.
• Devant le même parlement, le président Patrice Talon a clamé haut et fort que son souhait est que les lois soient votées sans débat.
• Pour assouvir ses ambitions de parlement muet sans contradiction, il a inventé avec maître Joseph Djogbénou le certificat de conformité pour exclure tous les partis politiques d’opposition des élections législatives de 2019.
• Le bannissement de la contradiction politique à l’Assemblée nationale a conduit le président Patrice Talon a procédé à la nomination des députés de la 8ème législature composé uniquement des militants de ses deux partis politiques UP et BR après un carnage du Sud au Nord en faisant tirer à balles réelles sur les citoyens béninois. Ce sont ces députés qui ont voté toutes les lois cyniques dont ils vont demander plus tard des explications à la Cena par exemple. C’est également ce parlement de sang sans opposants qui a révisé nuitamment la Constitution que le peuple s’est librement donné par référendum en 1990 à la suite de la Conférence nationale des forces vives, sans oublier la série des codes électoraux d’exclusion.
• L’hostilité du président Patrice Talon à la contradiction est la cause de l’élection présidentielle d’exclusion de 2021 où le Président en exercice a kidnappé sur les ponts de Porto-Novo et de Godomey les candidats de l’opposition (MADOUGOU et AÏVO) qui ont été jetés en prison avant d’être condamnés plus tard à 20 et 10 ans de prison fermes après que le chef se soit imposé président de la République pour un nouveau mandat de cinq (5) ans après la rallonge illégale de 45 jours de pouvoir exécutif.
• L’opposition à la contradiction politique justifie l’exfiltration de la liste du parti LD de quelques candidats sérieux aux élections législatives de 2023.
• L’opposition à la contradiction politique est la seule raison qui justifie le code électoral du 15 mars 2024 et surtout l’absence des membres de l’opposition dans toutes les institutions de la République qui sont vassalisées et sous influence du seul chef de l’Etat.
• L’opposition à la contradiction politique est le seul motif de l’instrumentalisation de la Justice et de la Police.
• L’opposition à la contradiction politique est la seule raison d’imposition des maires, des chefs d’arrondissement, des chefs de villages et de quartiers de villes qui ne sont plus élus par le peuple mais désignés par quelques individus dans les partis politiques du chef, foulant ainsi aux pieds les lois sur la décentralisation. Etc.
Je supplie le président Patrice Talon de ne plus tenir un tel discours qui ne vise qu’à projeter dans l’opinion internationale ce qu’il n’est pas et ne représente pas.
2. « Alors que le monde s’enfonce globalement dans un cycle d’incertitude et d’instabilité, que les foyers de tensions se multiplient ici et là, …… le Bénin continue sans tapage, d’avancer sur le chemin de son développement et de la consolidation de son unité ».
• En 2019 et en 2021, le monde entier a vécu sur les chaînes internationales de télévision et dans les réseaux sociaux les atrocités subies par la paisible population du Bénin à cause de la mythomanie, de l’aveuglement et de la soif de pouvoir personnel d’un seul individu qui a horreur de la quiétude et de la paix dans son pays.
La scène de cette femme fusillée dans le dos, de ce Zémidjan traversé par une balle criant sauvez-moi, de ce jeune homme dont la main a été broyée, tous à Cadjèhoun, de cette dame dont la tête a explosé à la suite d’une balle à Bantè alors qu’elle était retranchée dans sa case, de ces jeunes mutilés, continue de traverser l’esprit de tous les Béninois.
Les âmes des hommes et femmes tués à Cotonou, à Parakou, à Savè, à Tchaourou, à Kilibo, à Bantè continuent de hanter l’esprit des chefs militaires qui ont conduit ces opérations sur instructions du pouvoir exécutif. Les parents, enfants, épouses et maris de ces nombreux défunts civils comme militaires continuent de pleurer et de regretter leurs proches.
Nombreux sont-ils à être tourmentés par la faim, la maladie, le dénuement, la déscolarisation pendant que leurs assassins sont assis à des postes de responsabilité avec le sang sur les doigts.
• Patrice Talon qui a le courage de proclamer devant la Conférence Episcopale du Bénin qu’il « va compromettre la paix pour les temps à venir » peut-il s’étonner de la multiplication des foyers de tension ici et là ? Je me garde de dire que cela relève de l’hypocrisie.
• Un président qui a initié et promulgué la Loi N° 2024-13 du 15 mars 2024 portant code électoral, contesté par toutes les forces politiques, sociales et religieuse du Pays en raison de son caractère notoirement dangereux pour les élections générales de 2026 ; un code qui a bouché tous les orifices de respiration de la démocratie et empêcher toute concurrence électorale, est-il fondé à s’étonner de la menace sur la paix dans le monde alors que lui-même porte entre les mains un brasier ?
• Un président qui affirme en public que « le pouvoir ne retournera plus jamais au Nord » est-il bien indiqué pour parler de l’unité nationale devant la Représentation nationale ? Je me garde de multiplier les exemples de peur de heurter les sensibilités ou de provoquer la colère de certains citoyens.
Monsieur le Président, travaillez à être plus vous-même que de faire du théâtre.
DJENONTIN-AGOSSOU Valentin
Ancien Ministre,
Député élu, 7ème législature.