Votre média, La Dépêche.Info, s’est entretenu avec l’un des avocats du général Philippe Houndégnon : Me Habiba Touré, avocate franco-ivoirienne inscrite au barreau de Seine-Saint-Denis en France. Habituée des grands dossiers, elle a notamment plaidé aux côtés de Laurent Gbagbo devant les juridictions internationales de La Haye. En exclusivité, Me Touré revient sur le déroulement de l’audience du 16 décembre 2024 à la CRIET, partage les attentes de la défense et du prévenu, et livre ses analyses sur les perspectives d’évolution de la procédure.
La Dépêche.Info : Bonjour, maître Habiba Touré. Vous êtes avocate et bien connue. Votre réputation vous précède, mais là n’est pas la question du jour. Vous êtes au Bénin depuis quelques heures, aux côtés de votre client en compagnie de vos autres confrères avec qui vous êtes constitués en un collège d’avocats, pour les intérêts aussi bien du général Houndégnon Philippe, que de son neveu, tous deux en détention en ce moment. D’entrée de jeu, avez-vous pris connaissance de ce dossier. Comment ça se présente? Que peut-t-on retenir comme premier constat en ce qui vous concerne? Qu’est-ce qui vous saute à l’œil ?
Me Habiba Touré : Ce qui me saute à l’œil concernant ce dossier, je dirais, c’est une réelle préoccupation de ce que je peux constater concernant l’état de droit. Pourquoi ? Vous savez, priver un homme de sa liberté est quelque chose d’assez grave. Ce n’est jamais simple, c’est quelque chose d’assez grave.
Et en droit, on dit toujours que la privation de liberté doit être vraiment l’exception. La liberté devant être la règle, même dans le cas d’une procédure judiciaire. Dans le cas du général Houndégnon, qui n’est pas n’importe qui, qui a quand même été un haut responsable de l’État ici au Bénin, il est évident qu’on pouvait s’attendre, compte tenu du traitement, des conditions de son interpellation et de son placement en détention, on pouvait s’attendre à avoir un dossier conséquent. Et pour le coup, ce qui est étonnant, c’est qu’effectivement, nous avons une série d’accusations qui sont portées à son encontre, mais on ne sait toujours pas, à l’heure actuelle, je ne sais toujours pas ce qui lui est concrètement reproché.
C’est-à-dire, il est poursuivi, il va être jugé, il est actuellement en détention pour des faits graves, puisqu’il a accusé quand même d’incitation à la rébellion et d’harcèlement par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Donc, c’est des faits quand même assez graves, enfin relativement graves, mais quand même, en tout cas, que la justice a estimé suffisamment graves pour le placer en détention. Et dans le même temps, je ne sais pas ce qui lui est concrètement reproché.
La Dépêche.Info : Mais expliquez-vous un peu, maître.
Oui, mais…Vous pouvez vous interroger sur ce que je dis, à savoir, mais qu’est-ce que veut dire Maître touré quand elle dit ça ? Merci. Écoutez, c’est comme si je vous accusais. Mais que je suis incapable de vous dire ce que vous avez volé. Voilà, c’est un peu ça. C’est comme si vous êtes poursuivi pour vol, et puis vous allez dire, mais enfin, qui je l’ai volé ? Et puis on est incapable de vous dire ce que vous avez volé.
Voulez-vous dire, maître, que vous êtes en présence d’un dossier vide, sans contenance ?
Ce que je dis, c’est que jusqu’aujourd’hui…, ni le général Houndégnon, ni sa défense ne sait ce qui est concrètement reproché au général. Vous avez un homme qui a été quand même un haut responsable au niveau de l’État béninois. Ce qui ne signifie pas que personne au-dessus des lois en est bien d’accord. Mais quand même, quand vous arrêtez un tel homme, quand vous le jetez en prison, c’est que vous êtes quand même en mesure de dire voilà ce qui lui est reproché en fait et en droit. Or là, nous avons une série d’accusations juridiques. Mais concrètement, ce qui lui est reproché, je n’en sais rien. Lui-même n’en sait rien.
Maître Habiba Touré, Vous étiez à l’audience aujourd’hui, 16 décembre 2024. Alors, qu’est-ce qu’on peut en retenir concrètement ?
Alors concrètement, aujourd’hui, le fond n’a pas été abordé. C’est-à-dire que jusqu’aujourd’hui, à l’issue de l’audience, on ne sait toujours pas ce qui lui est concrètement reproché. Mais nous avons tenu à dénoncer des problèmes concernant la régularité de la procédure. Donc, mon éminent confrère Kèkè, a soulevé un certain nombre de moyens de nullité, ainsi que mon éminent confrère Fidel Abouta, en vue de faire annuler la procédure. Donc il a été plaidé sur ces points-là. Et l’affaire a été mise en délibéré pour le 27 janvier, afin que la Cour puisse se prononcer uniquement sur ces moyens de nullité. En fonction de cela, il n’y a pas 10 000 options.
C’est soit, la Cour constate qu’effectivement, il y a un problème de procédure dans ce dossier, prononce la nullité, le remet en liberté. Soit elle rejette les moyens qui ont été soulevés. Et à ce moment-là, les questions de fond. C’est-à-dire on va revenir à ce qu’on ne comprenait pas depuis le début. C’est-à-dire qu’est-ce qui est concrètement reproché au général et qui serait constitutif du fait d’harcèlement.
Maître Habiba Touré, à l’audience, le prévenu était-il présent ? Et quelle était son attitude ?
Écoutez, il était digne, serein, déterminé. Mais vous avez aussi un homme qui subit une terrible injustice. Et même s’il l’a subi de façon digne, la défense ne peut que s’offusquer, se scandaliser de ce qu’il subit. Ce n’est pas normal.
Et c’est assez inquiétant. Comme je dis, ça n’arrive pas qu’aux voisins. Et malheureusement, nous, avocats, nous sommes souvent confrontés à ça. C’est de voir ces violations répétées des droits humains, la liberté d’expression piétinée, les droits attachés à la personne piétinée. Et puis bon, on regarde ailleurs. Et finalement, quand vous voyez que ça peut arriver, que ça arrive à une personnalité comme le général Houndégnon, ça montre bien qu’il y a quand même un véritable problème. Lui, il est resté digne, bien évidemment. Il a répété qu’il ne se reconnaissait pas dans les accusations portées contre lui. Mais comment pourrait-il s’y reconnaître, vu qu’il ne sait pas ce qu’il lui est concrètement reproché ?
Donc voilà, lui, il est resté digne. Mais je tiens aussi à dire que dans le cadre d’une procédure qui manifestement est dirigée sur sa personne, contre sa personne, il y a quand même une victime collatérale, un dommage collatéral, mais une vraie victime collatérale, qui est son neveu, qui est là, parce qu’il a eu le malheur de se retrouver au domicile de son oncle au moment de l’interpellation, qui se retrouve embarqué, et donc jeté en prison et poursuivi pour complicité au même au même titre que son oncle.
Et alors là, pareil, rien. C’est-à-dire qu’on ne sait pas, ce qui lui est concrètement reproché à ce jeune homme. Qu’est-ce qu’on lui reproche ?. Et vous avez quand même un jeune homme qui est détenu dans des conditions difficiles, dans la mesure où lui, il s’appelle Camille Amoussou, qui est lui, pour le coup, est emprisonné 24 heures sur 24. Il n’a même pas l’opportunité de pouvoir faire un… de pouvoir sortir un peu, etc. C’est qu’il est vraiment en cellule 24 heures sur 24, et c’est extrêmement difficile pour lui. Et ce, d’autant qu’il ne sait pas ce qui lui est concrètement reproché. Donc vous avez quand même une situation assez difficile, qui laisse quand même… qui interpelle, forcément, qui interpelle, et qui interroge sur la question des droits humains, des libertés…
Maître Habiba Touré, on vous connaît, comme je l’ai dit d’entrée de jeu, et votre réputation vous précède, mais qu’est-ce qui vous a finalement motivée à vous attacher à ce dossier en venant au Bénin ? Puisqu’on ne vous avait pas vue ici, intervenir dans beaucoup d’autres affaires. Qu’est-ce qui explique votre présence, franchement, aux côtés du général ?
Écoutez, quand on est un avocat panafricain, chaque violation des droits humains sur le continent doit nous interpeller. Je suis intervenue au Bénin comme je suis intervenue en Côte d’Ivoire pour les mêmes raisons.
Vous étiez aux côtés de Laurent Gbagbo depuis la Haye.
Pour le président Laurent Gbagbo, ainsi qu’un certain nombre de hauts personnages de l’État ivoirien qui avaient également été poursuivis. Et je dis, c’est que vraiment, quand on se bat pour un État de droit dans nos pays, il y a des choses sur lesquelles on doit se scandaliser et on doit se lever. C’est ce qui m’a amené à accepter et en tout cas à intégrer l’équipe de défense du général Houndégnon, parce que c’est pour les mêmes raisons.
C’est-à-dire que ce qu’il vit aujourd’hui n’est pas normal. Je ne vais jamais m’offusquer de ce qu’on puisse engager une poursuite vis-à-vis de quiconque. Ça c’est dans un État de droit, n’importe qui peut être poursuivi. Ce n’est pas ça le problème. Mais vous ne privez pas de liberté un individu comme ça. Et quand encore vous voulez le poursuivre, il faut encore pouvoir lui dire quels sont les faits concrets qui lui sont reprochés. Quand on est incapable, c’est-à-dire qu’on rentre vraiment dans une… C’est une vision autoritaire qui consiste à finalement mettre la justice au service d’un régime qui règle ses comptes. Et c’est l’arrière-goût que laisse la procédure engagée à l’encontre du général Houndégnon.
On a vraiment le sentiment qu’il s’agissait d’un homme à embastiller, et qu’on construit, qu’on balance des qualificatifs juridiques étayés par aucun frais concret, dans le seul but de l’embastiller. Et c’est ce qui est un peu gênant. Et quand on veut, encore une fois, quand on veut construire, quand on veut participer à la construction d’États de droit dans nos pays, il me semblait tout à fait naturel de me joindre à mes confrères, à mes éminents confrères de la défense du général Houndégnon.
Maître Habiba Touré, nous allons clore cet entretien, mais je voudrais vous demander ce quece que ça vous rappelle, cette phrase : «Lorsqu’on est confronté à sa propre responsabilité d’agir et qu’on ne fait rien, alors on n’est pas un Africain en carton».
C’est une phrase que j’avais déjà indiquée dans le cas du dossier du président Laurent Gbagbo. Et c’est une phrase que je réitère dans le cas du général Houndégnon. Un panafricain ne peut pas être un panafricaniste ou un panafricain d’opportunité. On doit s’émouvoir de tout, de tout ce qui porte atteinte à nos libertés. Parce qu’aujourd’hui, nous devons nous battre pour des États stables, des États souverains, des États où le peuple, où les peuples sont respectés.
Donc, quand on est un panafricain et qu’on est avant d’une injustice, de graves violations des droits humains, on doit pouvoir les dénoncer. On ne doit pas se taire, on ne doit pas regarder ailleurs, car le faire, c’est se rendre complice d’un régime qu’on prétend vouloir dénoncer et combattre. Et c’est ce que j’appelle effectivement, dans ce cas-là, c’est qu’on est des panafricains en carton. Être un panafricain, ce n’est pas une déclaration, ce sont des actes concrets. Il faut poser des actes concrets qui démontrent son panafricanisme. Sinon, effectivement, on n’est qu’un panafricain en carton.
Merci beaucoup, Maître Habiba Touré. Je voudrais vous remercier pour votre disponibilité et je vous souhaite un bon séjour au Bénin.
Merci. A bientôt, je vous en prie.
Propos recueillis par JosPerzo ANAGO