Valentin Djenontin-Agossou, ancien ministre et député, livre une fable politique à la fois poétique et mordante. À travers des personnages et des lieux aux noms évocateurs, il peint les déboires de Biglotchémè, un village imaginaire incarnant les défis du Bénin contemporain. Entre accaparement des ressources agricoles, corruption systémique et résistance populaire, cette chronique éclaire les luttes des agriculteurs béninois et appelle à une prise de conscience nationale. Une allégorie politique, un cri d’alarme.
1. Le destin brisé d’un village: Entre espoirs et trahisons
Biglotchémè, petit village aux riches terres agricoles, symbolise un potentiel immense gâché par des décennies de mauvaise gestion. À partir de 1990, une grande messe nationale inaugure une ère de réconciliation. Monsieur « Banque Mondiale », technocrate visionnaire, est choisi pour relancer l’économie et l’agriculture. Mais ses projets sont vite détournés par des figures opportunistes, à commencer par Fofo Pata, qui transforme la filière coton en un empire personnel.
2. L’ascension de Fofo Pata: L’ogre du coton
Fofo Pata, surnommé «le débrouillard», s’impose dans la gestion du coton, principal produit d’exportation du village. En tissant un réseau de corruption et en exploitant les agriculteurs, il s’enrichit au détriment de la communauté. Les paysans, pris dans un système de dettes et de brimades, voient leurs efforts réduits à néant tandis que Pata se construit un empire financier.
3. Yinwè, l’espoir déçu des agriculteurs
L’arrivée de Monsieur Yinwè au pouvoir redonne un souffle d’espoir aux agriculteurs. Pendant dix ans, il améliore leurs conditions de vie, revalorise les prix du coton et encourage la diversification des cultures. Les villages prospèrent, les enfants vont à l’école, et les toits de chaume cèdent la place à des maisons en dur. Mais Yinwè est vite rattrapé par les manigances de Pata, qui cherche à rétablir son contrôle absolu sur la filière agricole.
4. Goyiyikpèdé: Une petite dose d’égo surdimensionné
Malgré les avertissements de Yinwè, Goyiyikpèdé, surnommé «tout-pour-moi-seul», accède au pouvoir. Son arrivée marque une descente aux enfers pour les agriculteurs. En liquidant les structures publiques agricoles et en accaparant les ressources, il plonge les producteurs dans la misère. Les prix des récoltes s’effondrent, les intrants agricoles sont de mauvaise qualité, et la dette devient un piège mortel pour les paysans.
5. Le soja, symbole de résistance face au monopole du coton
Face à l’exploitation du coton, les paysans se tournent vers le soja, culture plus rémunératrice et moins contrôlée. Mais Goyiyikpèdé riposte en instaurant un monopole d’État sur les exportations agricoles. Les producteurs sont traqués, intimidés et empêchés de vendre librement leurs récoltes. Les routes rurales sont volontairement dégradées, et des restrictions absurdes compliquent la vie des agriculteurs.
6. Une note de conjoncture: L’aveu d’un système oppressif
Les autorités elles-mêmes reconnaissent la montée du soja et son potentiel d’émancipation pour les agriculteurs. Une note de l’Institut de Recherche sur le Coton (IRC) révèle que le succès du soja repose sur des prix attractifs et une organisation privée efficace. Mais au lieu de soutenir cette diversification, le pouvoir en place multiplie les contraintes pour forcer les paysans à revenir au coton, symbole d’un système extractif au service de l’élite.
7. L’appel au réveil des agriculteurs et des citoyens
À travers ce récit, Djenontin-Agossou lance un appel vibrant à la mobilisation. Il exhorte les agriculteurs à refuser les chaînes imposées par un pouvoir centralisé et oppressif. La liberté de produire et de vendre est essentielle à leur survie économique et à leur dignité. Pour éviter une aggravation de la crise, il plaide pour une résistance collective et une réappropriation des ressources nationales.
Biglotchémè, miroir d’un enjeu universel
Cette chronique de Biglotchémè est bien plus qu’un conte. C’est une dénonciation des dérives autoritaires et de l’accaparement des ressources par une minorité. Elle résonne comme un manifeste pour un développement agricole équitable et durable. Le combat des agriculteurs de Biglotchémè devient ainsi le symbole d’une lutte universelle pour la justice sociale et économique.
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LE TEXTE DE DJENONTIN-AGOSSOU VALENTIN
LA CROIX DE L’AGRICULTEUR BENINOIS : QUAND PONCE PILATE PREND LE MANTEAU DU SAUVEUR !
Il fut un temps, dans la Savane d’Afrique, un petit village Biglotchémè situé près de la mer, entouré de voisins offrant de multiples opportunités pour son développement, a compromis son destin.
Dans les années 1988, les soubresauts multidimensionnels liés à la crise que traversait le village sont si intenses que les villageois fatigués du Berger national, l’ont contraint à convoquer en 1990 une grande messe nationale de réconciliation et de reconstruction.
A la fin de la célébration, Monsieur Banque mondiale a été désigné pour la reconstruction du village en ruine.
Le village produit pour l’exportation nombre de produits agricoles, principalement du coton, du cajou, de karité.
Dans sa quête de fabriquer de riches locaux comme cela se fait dans la plupart des pays, Monsieur Banque Mondiale a, par le biais de son beau Dési, tendu la perche à Pata le débrouillard pour vendre aux agriculteurs du coton, des engrais et des intrants.
Une fois aux manettes, Fofo Pata a rapidement dribblé M. Banque mondiale et son commis au Développement rural, Monsieur Mama.
Débutèrent alors les brimades des cultivateurs du coton par Fofo Patou en vue de son enrichissement personnel accéléré.
Pour conforter sa mainmise sur le principal produit d’exportation du village et accroître son patrimoine financier au détriment des paysans et de la Caisse nationale ; telle une araignée, il a tissé et étendu par la corruption son filet de protection aux décideurs politiques et hauts cadres de l’administration publique, pour acheter leur complicité et leur silence.
Le Général succéda à Monsieur Banque Mondiale. Il a tenté en vain de mettre en cage le vicieux Pata pour répondre de ses magouilles dans la filière coton. Très habile tel un enfant maraudeur, il a escaladé le mur pour s’enfuir loin du village. Les anciens ont apaisé la colère du Général pour faire rentrer le malfaiteur national dans l’espoir qu’il va se repentir.
Au Général a succédé Monsieur Yinwè. Tel le Simon de Cyrène, il a aidé la communauté des agriculteurs à porter la croix pendant dix (10) fêtes avec une amélioration substantielle du prix des produits de rente : coton, cajou, karité.
La vie des agriculteurs, des transporteurs a changé. Les toits en chaume des maisons du village sont remplacés par des feuilles de tôle ; les vélos sont remplacés par des motos chez les plus petits et des voitures et camions chez les grands producteurs. Les petits commerces des femmes ont fleuri dans les campements parce que les producteurs tiraient profit de leur labeur. Les enfants des cultivateurs sont nombreux dans les écoles des campements, parfois équipées de mobiliers ou restaurées, grâce à la contribution des associations paysannes.
Sous Monsieur Yinwè, en plus du monopole du coton, Fofo Pata est parvenu à créer et déposer à « Zohounglitin » une machine à sous. Lorsque Yinwè s’est rendu compte que seul Pata se remplissait les poches au détriment de la Caisse nationale, il a décidé de suspendre la machine à sous. Révolté, Pata a bloqué la fourniture d’engrais et d’intrants aux producteurs du coton qui ont déjà ensemencé les champs. Pour sauver les agriculteurs et les cotonniers, Yinwè et ses collaborateurs ont pris le taureau par les cornes.
Les manipulations et chantages de Patou pour reprendre les activités de la machine à sous et le commerce des engrais et intrants n’ayant pas prospéré, il a décidé de mettre fin à la vie et au pouvoir de Yinwè par administration de gélules mortifères via ses proches, ou le renverser avec l’aide des tirailleurs.
Yinwè décida alors de le faire arrêter par les «kponon». Informé par ses amis assis aux côtés de Yinwè, il a pris la fuite du village pour le pays des blancs où il est resté pendant 3 fêtes. Depuis son lieu d’asile, il a vachement dépensé les sous amassés sur le dos des villageois pour entretenir des foyers de tension et de révolte : grèves perlées dans l’administration, les universités et écoles, hôpitaux ; les haut-parleurs ont multiplié les émissions matinales de désinformation et d’intoxication ; les gongonneurs vociférèrent à rompre les tympans des villageois.
Les sages et anciens du village ainsi que les chefs de villages voisins ont supplié Yinwè d’accorder le pardon à Pata, Fofo gaga kobo et compagnie.
Yinwè a cédé à la demande des sages. Pata est rentré au bercail à quelques lunes de la grande cérémonie de désignation du nouveau berger du village.
Dans la tradition du village, chaque cinq (5) fêtes, la population désigne un nouveau berger pour prendre soin d’elle et s’occuper des difficultés du village.
Pour succéder à Yinwè, trente-trois (33) fils du village, la plupart collaborateurs de ce dernier ont levé le doigt.
Les candidats les plus significatifs furent le Yovo, le Poisson et Goyiyikpèdédolantchémin.
Au cours de la grande propagande des aspirants au trône national, Yinwê a supplié en larmes la population de ne pas porter son choix sur Goyiyikpèdé. Il a été méprisé et qualifié de buveur de vin doux.
Le jour du dernier grand conclave de désignation du Roi, comme ils sont assemblés, le Grand Souverain leur dit : lequel voulez-vous que je vous donne comme gouverneur, le Yovo ou Goyiyikpèdé ?
Le Poisson répond : la question ne se pose plus, c’est Goyiyikpèdé.
Les principaux leaders politiques, syndicaux, religieux, économiques, agricoles, portuaires, transporteurs, universitaires, étudiants, sociaux et les anciens du village persuadèrent à la foule de demander Goyiyikpèdé et de rejeter le Yovo.
Le Grand Souverain dit : que ferai-je donc du Yovo ? Tous répondirent : qu’il soit chassé !
Le Grand Souverain dit : mais quel mal a-t- il fait ? Et ils crièrent encore plus fort : il est Yovo (un blanc de peau), il n’est pas noir, qu’il soit chassé.
Monsieur Médicament réagit : nous connaissons Goyiyikpèdé, il est noir, son père est noir, sa maman est noire, il est parmi nous ; nous le connaissons.
Le Grand Souverain, voyant qu’il ne gagnait rien, mais que le tumulte augmentait, prit de l’eau, se lava les mains en présence de la foule, et il dit : je suis innocent de votre malheur. Cela vous regarde. Et tout le peuple répondit : que sa méchanceté retombe sur nous et sur nos enfants !
Goyiyikpèdé (une petite dose d’égo surdimensionné) devint alors Roi de Biglotchémè, (littéralement; tout-pour-pour-moi-seul). Il est installé sur le trône.
Ses premières actions, après avoir éloigné le Poisson, furent de fermer tous les bureaux et boutiques étatiques en charge du coton, licencier les employés, récupérer par liquidation pour son compte le patrimoine de ces boutiques du développement rural : comptes en banque, stocks d’engrais et d’intrants, biens meubles et immobiliers, fonciers.
Il vient ainsi d’effacer toutes les traces de son passé incestueux avec les structures et administration agricoles.
Le calvaire des agriculteurs commença. Engrais et intrants de qualité douteuse leur sont vendus en quantité. Les rendements baissèrent. Les contraintes liées au remboursement des engrais et intrants avec le prix dérisoire d’achat du coton plongent les agriculteurs dans l’endettement et le désespoir. Les plus chanceux vendent leur bétail pour solder les dettes. Les moins nantis se donnent la mort par pendaison.
Petit à petit, les agriculteurs délaissèrent la culture du coton au profit du soja qui est de plus en plus recherché sur le marché international à des prix avantageux pour ceux-ci. Contrairement au coton, ils avaient la liberté de vendre leurs productions sur le marché aux acheteurs de leur choix, principalement les Indiens, les Pakistanais, les Chinois.
Les premières mesures prises par Goyiyikpèdé pour décourager les paysans furent de chasser du Bénin les exportateurs étrangers afin d’accaparer avec son clan les filières naissantes : le cajou, le soja, le karité.
Il créa la SIPI-BENIN qui a désormais le monopole d’achat à des prix dérisoires fixés par elle-même, et d’exportation des produits agricoles de rente ; puis la GDIZ à Golo-Djigbé dont l’ambition serait la transformation sur place des produits agricoles.
Les paysans qui tentent de contourner ces structures sont bastonnés, mis à poils, arrêtés et jetés en prison.
Le rouleau compresseur des agriculteurs n’est pas prêt à s’arrêter.
Par Arrêté N° 2023-002SGG23/PR portant création, mission et composition du comité chargé de la mise en œuvre des infrastructures de contre mobilité sur les pistes frontalières non autorisées, le Président de la République, Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement a mis en place un comité dont le rôle est d’entraver la libre circulation sur les pistes rurales en les dégradant volontairement soit en y creusant des tranchées, soit en y déposant de grosses pierres pour empêcher les agriculteurs d’aller vendre librement leurs productions à prix compétitifs dans les pays voisins comme le Togo ou le Nigéria.
Pour davantage contrer les velléités d’émancipation des agriculteurs, l’Institut de Recherche sur le Coton (IRC) a formulé quelques recommandations. En effet, par Note de conjoncture N° 001-2022-AIC/IRC portant contraintes relatives à l’atteinte des objectifs de production de coton graine campagne 2022-2023, l’on peut lire au nombre des nouvelles contraintes conjoncturelles, la concurrence du soja. « La campagne agricole en cours confirme une fois encore la montée du soja, avec 31.696 ha de plus dans l’A2KP (+ de 12.350 ha uniquement dans la commune de Kérou).
L’un des déterminants de cet accroissement des surfaces de soja est une organisation plus offensive, favorisée par une incitation financière au semis du soja et s’appuyant sur l’implication d’acteurs privés et des Systèmes Financiers Décentralisés mettant en place une avance de campagne (sous forme de crédit) variant entre 100.000 à 200.000 FCFA/ha. Cette motivation financière vient renforcer la perception favorable des producteurs au vu des prix d’achat très rémunérateurs de la dernière campagne. L’ampleur de ce phénomène est variable suivant les délégations. Il faut relever à ce niveau une implication active de certains leaders des coopératives coton, encourageant les autres producteurs dans leur décision.
Il faut également signaler un conflit d’objectif apparent avec des programmes de diversification en cours dans certaines localités, programmes qui distribuent gratuitement aux producteurs des filières riz et soja des intrants, du matériel et une avance de 100.000 FCA/ha à ceux désireux de faire d’autres spéculations. Cela dénature au niveau des producteurs l’objectif de diversification agricole et encourage plutôt l’abandon du coton au profit de ces spéculations. »
Chers compatriotes et chers agriculteurs, vous comprenez aisément à travers cet extrait de la note conjoncturelle de l’IRC, l’origine de la persécution des producteurs du soja en quête de mieux-être naturel ! L’objectif in fine est de vous contraindre à la production du coton qui ruine votre santé, vos finances et vos terres depuis des décennies pour le bonheur d’un seul citoyen avec son clan.
Face à la chute continue de la production du coton abandonnée par les agriculteurs au profit de la production du soja, le Chef du village «Biglotchémè» (littéralement; tout-pour-pour-moi-seul) a pris d’autres mesures plus contraignantes contre les producteurs :
– La Note circulaire N°050/DGD/DGA/DLC portant mesures de suivi des mouvements des chargements des produits agricoles. A ce titre, aucun agriculteur ne peut déplacer un sac de soja de son champ à la maison sans aller aux services des douanes chercher une fiche de convoyage. Les magasins de stockage doivent être identifiables par des panneaux. L’usage de balances certifiées est obligatoire. Le transporteur des sacs de soja est privé des pièces de son véhicule pendant le trajet jusqu’aux magasins de destination.
– Dans la rubrique « Conditions de commercialisation du soja grain pour la campagne 2024-2025 » du compte-rendu du Conseil des ministres du 11 décembre 2024, le sort des agriculteurs de cette spéculation est définitivement scellé. Comme dans la filière coton, la manipulation est poussée à « la mise en place de l’interprofession soja pour défendre les intérêts des producteurs et des transformateurs, puis de fixer les conditions de commercialisation » dit-on. Poudre aux yeux des pauvres agriculteurs floués par leurs paires cupides et corrompus.
Curieusement, cette prétendue interprofession soja composée des traites contre les intérêts de leurs confrères, ont fixé les prix d’achat du soja de cette première saison 2024-2025, largement au-dessous des prix pratiqués dans la sous-région (soja grain conventionnel : 275 FCFA/kg et 5 FCFA/kg pour les charges des fonctions critiques ; soja grain biologique : 325 FCFA/kg et 5 FCFA/kg pour les charges des fonctions critiques). Drôle n’est-ce pas ?
Agriculteurs, producteurs, collecteurs, intermédiaires, transporteurs, organisations paysannes, tu as désormais entre tes mains ton destin. Tu es le véritable maître de ton avenir. Attendre passivement ton salut des hommes politiques, tu attendras longtemps puisqu’ils sont eux-mêmes limités dans leurs désirs en raison de l’environnement chaotique instauré depuis 2016 et qui ne favorise pas la libre expression, la libre organisation, ni la libre manifestation des mécontentements comme ce fut le cas par le passé entre 1991-2016.
C’est maintenant le temps favorable pour revendiquer ta liberté de produire et de vendre à qui et où tu veux. Attendre 2026, tu seras surpris de te retrouver la chaîne au cou dans ton champ en train de travailler pour le Roi impitoyable.
Non à la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel.
Enfants du Bénin, debout !
Lundi, 16 décembre 2024.
DJENONTIN-AGOSSOU Valentin.
Ancien Ministre, Député élu 7ème législature.