« Tant que le président fait bien, pourquoi le remplacer ? ». Janvier Yahouédéou est passé maître dans l’art de la métamorphose politique. L’injustice d’hier devient aujourd’hui une nécessité d’État. Ce qui était un crime de gouvernance devient une action « salutaire ». Un revirement qui en dit long sur les priorités du moment. Si l’ancien Janvier Yahouédéou rencontrait celui d’aujourd’hui, il lui aurait probablement réservé un de ces réquisitoires dont il avait le secret. Mais bon…
Il fut un temps où Janvier Yahouédéou était un véritable tribun de la République, un homme dont la verve cinglante et les dénonciations enflammées faisaient trembler les puissants. Armé de sa parole acerbe, il pourfendait la corruption, le népotisme et les abus de pouvoir comme un chevalier du verbe en croisade contre les dérives politiques. Mais voilà qu’aujourd’hui, le guerrier de la démocratie a troqué son épée contre un micro institutionnel. Celui qui dénonçait hier le pouvoir est désormais son plus fervent défenseur, au point d’en devenir la voix la plus agressive. Il faut croire que, comme le dit l’adage, « lorsqu’on entre dans la bergerie, on finit par bêler comme les moutons ».
Le dimanche 9 février 2025, invité sur un plateau télévisé, le désormais ministre conseiller a choisi une cible de choix pour son offensive médiatique : Adrien Houngbédji, ancien président de l’Assemblée nationale. Ce dernier avait osé critiquer la gouvernance actuelle, dénonçant un « système d’exclusion », notamment illustré par la récente condamnation d’Olivier Boko et Oswald Homéky à 20 ans de prison. Houngbédji, dans un sursaut d’audace, avait même plaidé pour la libération des prisonniers politiques et le retour des exilés. Sacrilège ! Yahouédéou, tel un prêtre du temple du pouvoir, n’a pas toléré cette «hérésie». Il a riposté avec virulence, qualifiant Houngbédji de « serpent à deux têtes », sous-entendant ainsi que l’homme n’avait aucune constance politique. Mais cette attaque ne soulève-t-elle pas une question bien plus épineuse ? Qui de Yahouédéou ou de Houngbédji a véritablement changé de camp ?
L’hôpital qui se moque de la charité ?
L’accusation est pour le moins cocasse. Janvier Yahouédéou, jadis pourfendeur des régimes qui se sont succédés, reproche aujourd’hui à un autre politicien son manque de constance. N’est-ce pas là l’hôpital qui se moque de la charité ? Lui qui dénonçait les dérives d’hier se fait aujourd’hui le chantre d’un régime qu’il aurait sans doute attaqué avec la même fougue quelques années plus tôt. En politique, certains changent de discours comme de chemise, mais Yahouédéou semble avoir troqué son costume de justicier pour celui d’un avocat du système. En qualifiant Houngbédji d’opportuniste, il tente de décrédibiliser une voix qui ose encore s’élever contre le pouvoir. Son objectif est clair : verrouiller le débat et exclure toute remise en cause du gouvernement en place. Mais n’est-ce pas ce même Yahouédéou qui, il y a quelques années, dénonçait les scandales des machines agricoles et du PPAE2 avec une indignation quasi-messianique ? Où est donc passée cette fibre de contestataire intrépide qui dénonçait la corruption à tout-va ?

L’opposition, une ombre gênante
Comme un bon élève cherchant à impressionner son maître, Yahouédéou ne s’est pas contenté d’attaquer Houngbédji. Il a également pris pour cible toute l’opposition, qu’il accuse de « déconstruire sans proposer de véritables alternatives ». Mais soyons sérieux : comment reprocher à l’opposition son absence d’alternative alors que les conditions d’une véritable démocratie sont systématiquement verrouillées ? Depuis plusieurs années, les élections béninoises sont marquées par des exclusions massives, des procès politiques, et une réduction drastique des libertés publiques. À ce rythme, il ne faudra pas s’étonner si l’on reproche bientôt à un homme à qui on a coupé les jambes de ne pas savoir courir. En réalité, le message de Yahouédéou est limpide : toute critique du pouvoir est illégitime. Ce discours, digne des plus grandes rhétoriques de propagande, a une seule finalité : dissuader toute contestation et asseoir la toute-puissance du régime en place.
Un troisième mandat ? Et pourquoi pas un trône à vie ?
Comme si cela ne suffisait pas, Janvier Yahouédéou a également ouvert la porte à une éventuelle prolongation du pouvoir de Patrice Talon. « Tant que le président de la République fait bien, pourquoi le remplacer ? », a-t-il osé déclarer. Une phrase qui sent bon les prémices d’une modification constitutionnelle. Et pour rendre l’idée plus digeste, notre ministre conseiller s’est même aventuré dans une métaphore aéronautique : « Si vous ne laissez pas cet avion stabiliser et que vous demandez au pilote de redescendre, ça va crasher. » Si l’on suit cette logique, un bon président ne devrait jamais quitter le pouvoir. Pourtant, cette même rhétorique a été utilisée par tous les dictateurs du continent, de Mobutu à Compaoré en passant par Biya. L’histoire est un éternel recommencement, et il semble que Yahouédéou ait trouvé une vocation dans l’art du recyclage idéologique.
Un passé « honteux » pour légitimer un présent douteux
Pour justifier son allégeance, Yahouédéou a tenté de noircir le passé afin de glorifier le présent. Il a évoqué les scandales de corruption sous les régimes précédents, citant pêle-mêle les 900 millions FCFA retrouvés chez un douanier, la distribution douteuse des villas de la Cen-Sad, ou encore le retour controversé de Mathieu Kérékou au pouvoir. Mais soyons lucides : les problèmes dénoncés hier ne se sont pas évaporés sous l’ère Talon. Au contraire, le pays fait face à des défis démocratiques encore plus profonds : opposition muselée, justice aux ordres, verrouillage des élections… Peut-on vraiment justifier l’injustifiable sous prétexte que d’autres ont fait pire avant ?
Sacré Janvier ! De la révérence au tapis rouge à l’amnésie sélective
Janvier Yahouédéou, ce caméléon politique aux mille et une couleurs, nous offre une nouvelle démonstration de son art consommé du grand écart idéologique. Il y a dix ans, en ce dimanche 08 juin 2014, il faisait vibrer les ondes de Radio Océan FM, déployant son éloquence enflammée au micro de l’émission Cartes sur table. Son discours d’alors ? Une ode à la reconnaissance du mérite économique, un vibrant plaidoyer en faveur des capitaines d’industrie, ces « patriotes fiscaux » dont la prospérité devrait, selon lui, rimer avec proximité présidentielle. « Si j’étais président de la République« , clamait-il avec aplomb, « les hommes comme Ajavon… qui seul a payé environ 30 milliards de TVA, j’en ferais un ami. Et régulièrement, je l’inviterais au palais de la République.« Et là, dans une envolée lyrique digne d’un conseiller spécial en charge des honneurs d’État, il déroulait son scénario présidentiel : « À chaque fois qu’il arrive, c’est le tapis rouge que je vais dérouler. Et quand je vais le recevoir, je lui dirais : M. Ajavon, vos 30 milliards que vous avez payés comme TVA, ça ne me suffit pas. De quoi avez-vous besoin pour pouvoir me payer 50 milliards, 100 milliards de TVA par an ? Rien qu’avec ce que tu m’apportes comme TVA, j’ai besoin de faire la route Cotonou-Ouidah. Ça vaut 60 milliards par exemple, et c’est à toi de payer. Et à la fin des travaux, cette route portera ton nom. Débrouille-toi. De quoi tu as besoin ? » Ah, que ne ferait-on pas pour ceux qui remplissent les caisses de l’État ! Ajavon, alors présenté comme un mécène fiscal, aurait même eu droit à une route à son nom, un monument à sa grandeur capitaliste.
Quand la mémoire politique a des trous plus larges qu’un filet de pêche
Mais, ironie du sort ou alignement des planètes du cynisme, le même Janvier Yahouédéou s’est depuis rangé derrière un régime qui a malmené et chassé ce même Sébastien Ajavon, naguère encensé comme un bienfaiteur national. L’homme dont il voulait faire un ami du palais présidentiel a été transformé en ennemi public numéro un, contraint à l’exil, ses affaires mises à mal, son empire économique ébranlé. Et là, silence radio. Plus de plaidoyer enflammé, plus de tapis rouge, plus de « dérouille-toi » enthousiaste. Janvier Yahouédéou, autrefois si prompt à tresser des lauriers aux figures économiques influentes, s’est reconverti en héraut du régime qui les traque et les écarte sans ménagement.
Le caméléon qui a oublié ses anciennes couleurs
Alors, que reste-t-il des grandes envolées lyriques du Janvier de 2014 ? Rien, si ce n’est un contraste saisissant entre ses discours passés et sa posture actuelle, entre son ancienne exaltation pour les entrepreneurs qui remplissent les caisses de l’État et sa nouvelle allégeance à un pouvoir qui les traîne devant les tribunaux. Yahouédéou semble avoir oublié qu’en politique, les archives existent, et la mémoire des citoyens n’est pas aussi courte que celle des hommes de pouvoir. Ce grand défenseur des créateurs de richesses s’est mué en soldat du système qui les réduit au silence, illustrant à merveille cette sagesse populaire : « On ne crache pas en l’air sans risquer de recevoir son propre crachat en plein visage. » Ah, Sacré Janvier, décidément, le vent de l’opportunisme souffle toujours dans la direction du pouvoir en place !
Un Janvier en hiver : la fonte d’un idéal
Le revirement de Janvier Yahouédéou est un cas d’école en politique. Celui qui dénonçait hier est devenu aujourd’hui le héraut d’un régime qu’il aurait combattu avec la même virulence. Sa sortie médiatique a officialisé son alignement total sur la ligne du pouvoir en place, au point qu’il semble prêt à défendre l’indéfendable, quitte à se perdre dans ses propres contradictions. On dit souvent que « l’argent ne change pas les hommes, il les révèle ». Yahouédéou ne fait pas exception. De tribun de la démocratie, il est devenu le bouclier d’un système qu’il fustigeait hier. Son alignement stratégique pose une question fondamentale : est-il encore un acteur politique crédible, ou simplement une voix supplémentaire dans la chorale des défenseurs du pouvoir ? L’histoire jugera, mais une chose est sûre : le Janvier d’hier n’aurait pas hésité à fustiger le Yahouédéou d’aujourd’hui.